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APEL: LA PHILOSOPHIE À PARTIR DE LA LIMITE [1]
Paulo Tunhas
Universidade Fernando Pessoa
Instituto de Estudos Filosóficos do Conhecimento, Lógica e Linguagem da Universidade Nova de Lisboa.



SUMÁRIO
A filosofia de Apel consiste numa tentativa de "transformação" pragmática e transcendental da filosofia. Esta transformação baseia-se sobretudo no conceito de argumentação. O objectivo deste texto (concebido, em parte, como uma introdução ao pensamento de Apel) consiste em fazer uma apresentação geral das teses fundamentais de Apel e em mostrar que elas exibem uma determinada "forma de pensar" (Denkungsart, na linguagem de Kant). Chamamos a esta forma de pensar "a forma de pensar do limite".

ABSTRACT
Apel's philosophy is mainly an attempt of "transformation of philosophy" on a pragmatic and transcendental basis. This transformation relies heavily on the notion of argumentation. It is the purpose of this text (which is partially conceived as an introduction to Apel's thought) to give an overview of Apel's main theses, and to show that they exhibit a particular "manner of thinking" (Denkungsart, in Kant's terms). One refers this manner of thinking as "the manner of thinking of the limit".

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La pensée de Apel est une pensée de la rationalité, de la rationalité "consensuelle et communicationnelle mais par là même éthique et normative" [2]. Il s'agit de "fournir (...) les bases d'une théorie philosophique de la rationalité" [3]. Ces bases, on le sait, Apel les cherchera du côté de l'argumentation.

Ce texte est divisé en 3 parties. Dans la première, on cherche à offrir une vue d'ensemble de la pensée de la rationalité chez Apel, et à caractériser cette pensée comme une pensée de la limite. Dans la seconde partie, on essaie d'explorer les articulations internes de la philosophie apelliene, et de dégager son contenu systématique. On le fera de la façon la plus neutre possible, en suivant de très près la lettre des textes [4]. Dans la troisième partie, on tâchera de donner voix à quelques objections possibles à l'approche apelliene de la rationalité et on suggérera une possible confrontation avec la philosophy of mind contemporaine.

 

1. ARGUMENTATION ET LIMITE
Nous commencerons par des indications assez abstraites. Elles seront développées par la suite.

Apel cherche à interpréter l'ensemble des courants herméneutiques, pragmatiques et sémiotiques en philosophie, à partir d'un point de vue transcendantal. Cette interprétation met en jeu bon nombre d'outils conceptuels: la pensée catégoriale de Peirce, les arguments wittgensteinniens relatifs aux formes de vie, aux jeux de langage et au refus du langage privée, ainsi que la théorie des actes de langage de Austin et de Searle. Ce projet le conduira à l'idée d'unefondation ultime pragmatico-transcendantale de la philosophie. Une telle fondation vise à déterminer l'a priori de l'argumentation. Cet a priori - un a priori indépassable, conçu à l'image du fait de raison kantien - s'avère être la volonté d'argumenter. La volonté d'argumenter met en scène la prétention à la vérité et le désir du consensus, et, d'une façon générale, les quatre prétentions

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nécessaires de validité du discours selon Habermas (sens - ou intelligibilité -, vérité, véridicité, et correction normative - ou justesse) . En soulignant le caractère transcendantal de cette fondation, on évitera les apories majeures qui minent le faillibilisme et le décisionnisme. L'a priori du discours s'établit moyennant le test de la non auto-contradiction performative et par la mise en place du principe d'autointégration, ou d'autoalignement.

La fondation ultime, selon Apel, n'obéit pas à un concept logico-formel de la fondation. Celui-ci renvoie à ce que Apel désigne par paradigme sémanticoréférentiel en philosophie. Ce paradigme se caractérise par le paralogisme abstractif, et par l'évidement du concept d'intentionnalité. Le paradigme sémantico-référentiel est solidaire du solipsisme méthodique.

La fondation proprement philosophique est celle qui s'inspire de la réflexion pragmatico-transcendantale. Elle met en jeu l' autoréférentialité du langage et la double structure (performative et propositionnelle) de tout acte de langage. Et, surtout, elle présuppose l'intersubjectivité. Le "Je pense" devra être entendu comme "J'argumente". L'intersubjectivité se vit dans l' anticipation contrefactuelle de la communauté idéale de communication dans la communauté réelle de communication. La communauté de communication est une communauté interprétative (au sens de Royce), une communauté d'argumentation, ou encore, pour reprendre l'expression de Peirce, une communauté illimitée de chercheurs. Le modèle philosophique de la rationalité est celui de la rationalité argumentative, et non pas celui de la rationalité stratégique.

On dessine, par l'ensemble de ces mouvements, le passage d'une philosophie de la conscience à une pragmatique transcendantale. La pragmatique transcendantale n'élimine pourtant pas la figure de la conscience, ni celle de l'évidence. L'importance accordée par Apel aux déictiques (ou indicateurs) le prouve.

La fondation pragmatico-transcendantale est, en dernière instance, une fondation éthique: il y a une présupposition de l'éthique par la philosophie. Cette présupposition de l'éthique est solidaire du refus de ce qu'Apel nomme «système de complémentarité» (d'une certaine façon, les apories du débat compréhension/explication se doivent au fait que ce débat se déroule à l'intérieur d'un tel système). L'éthique de la discussion vise à proposer une thèse alternative au «système de complémentarité», et à thématiser le passage des éthiques conventionnelles (ou de groupe) à l'éthique postconventionnelle (ou

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universelle ). La question de l'applicabilité de l'éthique du discours, mènera Apel à la prolonger dans une éthique de la responsabilité, qui n'ignore pas le problème de la contingence du monde vécu. Déontologie et téléologie se réunissent ainsi.

Signalons en premier lieu la teneur kantienne de plusieurs thèses de Apel. L'idée même du transcendantal, évidemment. Laphilosophie de l'argumentation de Apel est une philosophie transcendantale. Il s'agit de déterminer lesconditions de possibilité de la communication rationnelle. Un autre exemple: l'idée de l'anticipationcontrefactuelle de la communauté idéale de communication dans la communauté rélle de communication. La description de cette anticipation par Apel est une reprise de la thématisation kantienne du rapport entre état de nature et état civil dans la Doctrine du droit, dans Théorie et pratique et dans l' Idée d'une histoire universelle du point de vue cosmopolitique. L'universalisme éthique de Apel, lui aussi, est, pour l'essentiel, un développement de la position kantienne. Le fait de raison est convoqué, tout comme le règne des fins. Bon nombre d'autres exemples pourraient être mis en relief pour souligner la présence d'une manière de penser kantienne chez Apel. Concentrons-nous plutôt sur une figure particuliérement importante chez les deux auteurs: l'idée de fondement.

Apel évite la logique abyssale des théories postkantiennes du fondement (Reinhold, Fichte, Hegel), leur "cartésianisme" - la doctrine du «point de vue unique» [5] -, dans la mesure, justement, où il ne développe pas un concept logico-formel de la fondation, mais un concept pragmatico-transcendantal,

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un concept de la limite. Il s'agit d'une fondation à partir de la limite. En quoi la théorie transcendantale du fondement de Apel dessine-t-elle une pensée de la limite? Au sens où il s'agit, pour Apel, de fonder la philosophie sur l'éthique, et où l'éthique, dans un sens plus proche de Kant que de Bernard Williams [6], est la limite de la philosophie. Chez Kant, en effet, l'éthique figure le moment d'un rapport positif à l'extérieur. Le domaine de la liberté est le domaine de la pensée non antinomique de l'inconditionné, comme le dit la Préface de la CRPratique [7]. La liberté - définie positivement, et non plus problématiquement, comme dans la CRPure - est le concept-charnière de la limite: elle articule finitude et infinitude, donne à voir la possibilité de penser ce qui n'était auparavant qu'un pur abîme. C'est le point de vue de la raison, qui est aussi celui du système: la raison, dans le mouvement de sa propre autocritique, qui est exploration des limites, fait système. Chez Apel, l'ensemble de la philosophie présuppose l'éthique, la totalité de la connaissance abyssale du monde - celle des sciences, par exemple - ne peut être fondée que sur l'éthique. (Cf., plus loin, le paragraphe 35 de la seconde section de ce texte.)

De même, en ce qui concerne le privilège accordé à l'argumentation, on a affaire à une pensée de la limite. Le privilège de l'argumentation est solidaire de la primauté de l'éthique. A la différence de la preuve, qui a trait à la pratique des sciences, et de l'évidence, qui représente, d'une certaine façon, le moment esthétique de toute connaissance, l'argumentation convient singulièrement, en tant que figure épistémologique, à l'éthique. Si elle fait l'économie d'une doctrine transcendantale du fondement, l'argumentation, laissée à elle seule, pour ainsi dire, résorbera les pratiques discursives de l'évidence et de la preuve, et se fera rhétorique, comme c'est le cas chez Cicéron et Quintilien [8]. Preuve et évidence se diront par rapport à l'argumentation, elles dépendront de la rapidité et de l'énergie [9] de cette dernière. Le contexte du traitement de la probatio dans le livre V de l'lnstitutio oratoria, ou de l'evidentia, éparpillée en des chapitres consacrés à la narratio [10], au pathos [11], ou aux ornamenta [12], suffit peut-être à le montrer. Mais, transcendantalement fondée, l'argumentation

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évitera cette déviation. On serait presque tenté d'établir un rapprochement entre la pensée de Apel et celle de Malebranche. L'exercice vaut ce qu'il vaut, mais il est peut-être intéressant d'un certain point de vue. La pensée de Malebranche offre un exemple. éclairant de la réunion de l'évidence et de l'argumentation. L'évidence est l'expérience décisive. Mais l'évidence - l'emblème fondamental du plaisir et du bonheur, désirs invincibles qui constituent "l'essence de la volonté en tant qu'elle est capable d'aimer le bien" [13] - s'atteint par un effort, qui met en jeu la force de l'esprit [14], par l'attention [15], par l'observation d'un certain nombre de règles [16]. L'évidence n'est plus, comme c'était le cas chez Aristote, inscrite dans le corps même de l'apodeixis, dans sa force et son efficacité intrinsèques: elle se trouve dans la dépendance de Dieu. C'est-à-dire: elle ne peut être conquise que par la vision en Dieu [17], par la contemplation de l'étendue intelligible [18]. Cette contemplation suppose pourtant l'analogue d'une pratique de l'argumentation, notamment le dialogue avec le Maître intérieur, la recherche des "réponses intérieures de notre Maître commun" [19]. On écoute la "voix intérieure" [20], source delumière [21], la raison qui nous fait des "reproches" [22]. L'argumentation, le dialogue avec le Maître intérieur, pointe nécessairement vers l'évidence. L'évidence est le telos du dialogue. Ce telos, il est vrai, s'atteint par la persuasion (la conviction - trop explicative, aurait-on envie de dire - n'y suffit pas [23]): la conquête des "beautés intelligibles" suppose la forme argumentative de la persuasion [24]. La persuasion est, dans l'ordre conceptuel de Malebranche (comme, plus tard, chez Rousseau), supérieure à la conviction. La persuasion, pourtant, se soude avec l'évidence, elle nous y mène nécessairement: persuasion et évidence font corps commun, d'où resulte le

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consentement entier [25]. L'évidence révèle l'essence de la persuasion, la limite ne fait que conduire au passage, c'est-à-dire à l'amour, que l'âme ne veut jamais borner [26]. La doctrine de l'argumentation chez Apel, obéit, bien sûr, à d'autres contraintes. Mais elle échappe précisément à toute déviation rhétorique parce qu'elle se fonde sur desa priori comme la prétention à la vérité (cf., plus loin, le paragraphe 9) et auconsensus (cf. le paragraphe 10), ou encore l'exigence del'anticipation de la communauté idéale de communication dans la communauté réelle de communication (cf. le paragraphe 26). La vérité et le consensus (qui incluent l'évidence) sont le telos de l'argumentation. Sans la présupposition d'une telle finalité - sans la présupposition d'un passage, on aimerait dire -, la manière de penser de la limite serait purement rhétoriquen [27].

Nous passons maintenant à l'exploration des articulations internes de la philosophie d'Apel. On se permettra de le citer abondamment. Faute d'espace, bon nombre de questions importantes seront laissées de côté.

 

II. ARTICULATIONS SYSTÉMATIQUES

1. La philosophie de Apel (et la pensée de la rationalité qui la travaille) se laisse lire comme une opposition aux projets de dé-transcendantalisation de la philosophie (Heidegger, Rorty, Derrida, par exemple) [28]. L'ensemble des projets de dé-transcendantalization, issus des courants herméneutiques et pragmatiques de la philosophie contemporaine se verront accusés d'une auto-contradiction performative On abordera plus loin la question de l'autocontradiction performative (cf le paragraphe 13). Pour l'instant, soulignons seulement que la critique que Apel fait de ces courants herméneutiques et pragmatiques, se fait elle même au nom d'une herméneutique et d'une pragmatique conçues par lui comme herméneutique et pragmatique

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transcendantales . Et sa critique, dans la mesure même où elle tend à expliciter la nature du transcendantal, possède une portée systématique indubitable.

2. Se réunissent ainsi pragmatique transcendantale, herméneutique transcendantale et sémiotique transcendantale. La "sémiotique pragmaticiste issue de Ch. Peirce (...) peut s'interpréter comme une sémiotique ou une pragmatique ou herméneutique transcendantale" [29]. Du point de vue d'Apel, l'herméneutique transcendantale et la pragmatique transcendantale sont "à comprendre comme des aspects complémentaires d'une sémiotique transcendantale" [30]. Il faut insister ici sur le fait que l'herméneutique, telle que Apel la conçoit, s'oppose à une herméneutique dé-transcendantalisée, à la façon de Gadamer [31], qui, d'après Apel, conduit au "relativisme historico-anthropologique" [32]. Le point de vue herméneutique est pour Apel "un point de vue à la fois communicationnel et autoréflexif" [33] qui "doit toujours déjà présupposer le fondement normatif d'une compréhension qui procède à des évaluations éthiques" [34].

3. La constitution de la théorie de la rationalité argumentative fait appel à bon nombre de développements conceptuels. En premier lieu, l'apport des catégories peirciennes (priméité, secondéité, tiercéité) [35]. On doit ajouter les arguments wittgensteinniens relatifs aux formes de vie [36], aux jeux de langage [37] et au refus d'un langage privé [38]. La théorie de l'argumentation fait aussi appel à la théorie des actes de langage de Austin et de Searle [39].

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4.
Le premier aspect important de la pensée de Apel, du point de vue systématique, est l'insistance sur la nécessité d'une fondation ultime <Letzbegründung> pragmatico-transcendantale. On peut considérer "désuet ou historiquement dépassé" de s'occuper de la question de la "fondation ultime", mais un tel point de vue (celui, précisément, des adeptes de la dé-transcendantalisation auparavant mentionnés), écrit Apel, "figure au nombre des plus sublimes tendances à retomber dans une cryptométaphysique" [40]. La même accusation pourra être faite aux adeptes d'un faillibilisme radical et, pour ainsi dire, auto-prédateur [41]. On doit chercher une "fondation qui soit non dogmatique et non métaphysique mais néanmoins transcendantale" [42]. Il s'agit de mettre en lumière les présupposés indiscutables de toute argumentation (scientifique ou autre), jusqu'aux conditions mêmes de la possibilité du doute [43]. La fondation ultime doit "essayer de reconstruire, aussi complètement que possible, les conditions nécessaires de l'argumentation humaine" [44], et cela au moyen de la réflexion et de l'examen transcendantal [45], d'un "retour réflexif à ce qui est indépassable dans la situation de l'argumentation philosophique" [46]. Par l'examen transcendantal, "l'autoréflexion de la discussion argumentée" [47], on cherche "la fondation ultime réflexive de l'argumentation" [48], et on obtient des "présupposés d'entente mutuelle non pas historiques-contingents mais irréfutablement universels" qui "fondent la possibilité du doute et des limites du doute et constituent à ce titre la fondation philosophique ultime des prétentions à la validité" [49]. Contre Habermas, pour qui, selon lui, la considération des "ressources du monde vécu" [50] suffirait à la philosophie, Apel affirme "l'exigence d'une fondation ultime, valable a priori, de la prétention philosophique à la validité des énoncés universels-pragmatiques relatifs aux présupposés nécessaires de la

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discussion argumentée [51]. Ces présupposés constituent des propositions qui n'ont pas besoin elles-mêmes de-fondation [52] et qui, dans les mots mêmes de Apel, "ne peuvent pas être comprises sans que l'on sache qu'elles sont vraies <man sie nicht verstehen kann, ohne zu wissen, dass sie wahr sind>" [53] Ce sont "certitudes absolument indubitables" [54] des "certitudes paradigmatiques" [55] qui acceptent l'auto-référentialité du discours philosophique [56]. Il s'agit d'une "autofondation pragmatico-transcendantale de la discussion argumentée" [57], "il est à la fois impossible et non nécessaire de fonder la rationalité ou la moralité en les dérivant d'autre chose" [58]. De telles certitudes sont le "point d'Archimède" [59] à la source des "authentiques universaux" [60]. Ces certitudes n'empêchent pourtant pas une "auto-critique", une "auto-révision", ou une "auto-correction" perpétuelle de la fondation, bien que cette auto-critique soit "quelque chose d'essentiellement autre que la vérification d'hypothèses dans les sciences empiriques" [61]. Apel accentuera le caractère éthique de cette fondation. La fondation ultime pragmaticotranscendantale est, pour des raisons systématiques, une fondation éthique: "c'est le discours argumentatif (...) qui contient l'a priori rationnel de fondation pour le principe de l'éthique" [62], l'enjeu est celui d'une "fondation transcendantale ultime de la loi morale" [63], une "fondation rationnelle ultime de la moralité et de son contenu normatif" [64] (Cette fondation aura une double structure: "une partie fondationnelle abstraite «A» et une partie fondationnelle reliée à l'histoire, soit la partie «B»" [65]. La partie «A» explicitera "la transformation du principe kantien d'universalisation de l'éthique déontique",

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et la partie «B» consistera dans une "éthique de la responsabilité reliée à l'histoire", à caractére téléologique [66].)

5. Il y a un a priori de l'argumentation. Le "factum a priori de l'argumentation" est un "point de départ incontournable au sens quasi-cartésien" [67]. En effet, "l'acceptation des règles de jeu propres à une communauté critique de communication n'est pas un fait empirique, mais appartient plutôt aux conditions de possibilité et de validité de l'établissement même des faits par les sciences empiriques" [68]. Cet a priori est absolument fondateur: "Dans l'a priori de l'argumentation réside la prétention de justifier non pas seulement toutes les «assertions» de la science, mais, au-delà, toutes les prétentions humaines (y compris les prétentions implicites des hommes à l'égard d'autres hommes qui sont contenues dans les actions et les institutions)" [69].

6. L'a priori de la communication est indépassable. Toute prétention à la validité le suppose [70]. Il y a une "indépassabilité de la discussion argumentative et de ses normes" [71]. En philosophie, "l' argumentation - tout comme ce qui s'exprime en elle, soit la pensée qui élève des prétentions à la validité - est indépassable (nichthintergehbar)" [72] Une "présupposition indépassable" doit être comprise "au sens d'une fondation réflexive ultime" [73].

7. L'a priori de l'argumentation pourra même être conçu à partir d'une reconstruction critique du "fait de raison" kantien. Sans le "factum de l'acceptation" de l'a priori de l'argumentation "aucune norme ne peut être déduite" [74]. Comme l'écrit Apel: "l'acceptation de la norme morale fondamentale de la communauté critique de communication, dans la mesure où elle doit nécessairement être présupposée, n'a pas le caractére d'un factum humien, mais celui du factum de la Raison de Kant" [75] Ce factum est un "parfait a

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priori toujours déjà "présupposé par l'appartenance à la communauté de langage" [76]. "Si nous lisons la formule kantienne de l'évidence du «fait de la raison» comme une expression ayant le sens d'un parfait apriorique ( apriorisches Perfekt), nous pouvons alors dire que le fait évident de la raison consiste justement en ceci : si nous argumentons, nous avons toujours déjà reconnu, en même temps que la raison communicationnelle comme rationalité discursive, la validité de la loi morale sous la forme du principe éthique du discours" [77].

8. Il faut supposer, à l'intérieur de la communauté de communication, une volonté d'argumenter. La volonté d'argumenter, qui est une "volonté rationnelle", "peut et doit être présupposée dans chaque discussion philosophique sur les fondements, parce que sinon la discusion n'a elle-même aucun sens" [78]. Dans l'argumentation, "il ne nous est pas possible, en tant que philosophes, de revenir en deça de notre volonté d'argumenter" [79]. La "volonté d'argumentation" est "une condition transcendantale de toute possibilité de débattre au sujet des conditions empiriques que l'on admet hypothétiquement" [80].

9. La volonté d'argumenter est intimement unie à la prétention à la vérité. Le "concept abstrait de vérité" ne peut pas être compris si l'on ne présuppose pas sa condition pragmatico-transcendantale: il est "dénué de sens d'affirmer que des propositions pourraient être vraies ou fausses sans qu'intervienne la moindre conscience humaine, c'est-à-dire aucune prétention à la vérité" [81]. Il s'agit d'une "prétention autoréférentielle performative à la verité" [82].

10. C'est le consensus qui est visé au travers des débats à l'intérieur de la communauté d'argumentation. La théorie de la vérité adoptée par Apel est la théorie pragmatico-transcendantale de la vérité comme consensus, qui a son origine chez Peirce [83]. Elle pourra servir comme "paradigme d'une théorie

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post-tarskienne de la vérité" [84]. La théorie consensuelle de la vérité contient, en tant qu'idée régulatrice, "tous les critères de vérité pensables - comme les critères de correspondance, d'évidence, de cohérence et de fécondité pragmatique"; et elle les dépasse: "Par là, tous les concepts tradionnels de vérité sont dépassés (aufgehoben) dans le concept de consensus pragmaticotranscendantal" [85]. "Le consensus est le telos de la communauté des chercheurs, il sert d' "idée régulatrice" [86]: "le processus d'entente mutuelle ne peut avoir de principe régulateur de son progrès téléologique que dans un consensus universel", "le consensus d'une communauté communicationnelle infinie" [87]. Au travers du consensus, "on atteindra la conviction ultime d'une communauté de chercheurs illimitée" [88]. Le "but du discours" est "l'aptitude (universelle) à susciter le consensus" [89]. "Le test de l'aptitude à susciter un consensus, que l'on peut effectuer par une expérience de pensée, prend dans une certaine mesure la place de la procédure du test, telle que Kant l'avait suggérée avec son impératif catégorique" [90]. Ce n'est pas la réalisation "factuelle <faktische> du consensus qui est le critère de vérité [91]: tout consensus factuel est sous réserve faillibiliste [92]. Aucun critère particulier de vérité ne peut servir comme critère suffisant de vérité, et tous les critères de vérité fondent la validité intersubjective du consensus [93]. Toute prétention de connaissance valable suppose "la nécessité d'une capacité de consensus <Konsensfähigkeit> illimitée" [94], "un consensus discursivo-argumentatif de la communauté des chercheurs, basé sur des critères de vérité disponibles même lorsqu'ils sont potentiellement conflictuels" [95]. Du point de vue de l'éthique, "le postulat de la formation du consensus, tel que le conçoit l'éthique du discours, vise une solution procédurale qui vient se situer pour

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ainsi dire entre le collectivisme-communautarisme et l'autonomisme monologique de la conscience" [96].

11. On peut considérer, d'un point de vue pragmatico-transcendantal, les 4 prétentions nécessaires de validité du discours selon Habermas (sens - ou intelligibilité-, vérité, véridicité, et correction normative - ou justesse ). Elles constituent un a priori du discours argumentatif [97] qui convient parfaitement à un point de vue pragmatico-transcendantal" [98]. Celui qui argumente les reconnaît nécessairement [99]. Apel les interprète, à la différence de Habermas, en soulignant leur caractère transcendantal [100]. Cela veut dire qu'elles ne pourront pas être falsifiables [101], soumises à un "contrôle empirique" [102], et qu'elles appellent à un consensus intersubjectif [103]. En plus, elles suggèrent "l'unité normative de la raison théorique et de la raison pratique" [104].

12. Une théorie pragmatico-transcendantale est donc en mesure, selon Apel, de proposer des arguments transcendantaux qui seront philosophiquements plus puissants que n'importe quelle variante de décisionnisme et qui éviteront les apories d'un faillibilisme sauvage et auto-prédateur. Commençons par le décisionnisme. Apel ne s'occupe pas tant du décisionnisme politique à la façon de Carl Schmitt [105], ou du "décisionnisme existentialiste" [106], comme du décisionnisme de Popper ou de Paul Lorenzen, selon lesquels, à la place d'une "fondation ultime", on doit poser un "acte de foi", une "décision morale irrationelle": le choix de la raison est précisément cela - un choix non fondable, "un «acte de foi» au sens d'une foi en la Raison" [107]. Cet acte de foi

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serait en lui-même "irrationnel" [108].Ce ne serait donc pas d'une fondation ultime qu'il s'agirait, mais uniquement d'unedécision ultime." [109] Cela correspondrait à l'interruption du processus de fondation par une position dogmatique" [110]. Le décisionnisme doit donc être écarté. Passons maintenant au faillibilisme. Les critiques de Apel ne se dirigent pas au faillibilisme de Peirce ou de Popper, qu'il partage [111], mais au faillibilisme du "rationalisme pancritique" (W. Bartley, H. Albert, G. Radnitzky). Le refus total de l'évidence comme critère de vérité, ou comme élément du critère de vérité, n'est pas acceptable [112]. L'erreur du rationalisme pancritique consiste dans l'universalisation abusive du principe du faillibilisme de Peirce et de Popper: selon cette universalisation, il ne s'appliquerait pas seulement à la science empirique-hypothétique, mais aussi à la philosophie qui se fonde sur ce même principe" [113]. Or, une telle universalisation n'est pas légitime: les énoncés philosophiques-universaux ne peuvent pas être soumis au principe du faillibilisme sous peine de perdre toute prétention au sens [114]. Le principe du faillibilisme doit donc être limité quant à son contenu: il ne doit pas s'appliquer à lui-même, et il doit aussi exclure du cadre de son application "tous les énoncés présupposés dans chaque usage possible du principe du faillibilisme" [115]. Sinon, tout méliorisme inhérent au faillibilisme de Peirce et de Popper se dissout dans une position du type de celle de l'anything goes cher à Feyerabend" [116].

13. À ne pas respecter l'a priori de la communication on tombe dans une auto-contradiction performative. Une autocontradiction performative est une proposition qui revendique ce qu'elle nie [117]. Plus précisément: on commet une autocontradiction performative dès qu'on conteste, dans un discours, quelque chose qu'on doit obligatoirement "prendre en considération dans l'acte d'argumentation lui-même" [118]. L'auto-contradiction performative ne

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se confond pas avec une anomalie linguistique [119], ni avec une simple contradiction propositionnelle [120]. Elle surgit dès qu'on "essaye de nier une obligation communicative <kommunikative Verbindlichkeit>" [121], dès qu'on veut contester les "présupposés de la communication" [122]. La supposition du deus malignus qui nous trompe toujours, par exemple, dans la mesure où il s'agit d'un énoncé ayant une prétention à la vérité, exhibe une autocontradiction performative [123]. Le même pourra être dit de la déclaration de Rorty selon laquelle, en tant que philosophe, aucune prétention à la vérité ne l'habite [124]; ou au sujet de la thèse post-moderne qui défend le différend comme l'objectif de tout discours [125]. D'autres exemples: l'argumentation même des sceptiques [126], ou les thèses d'un faillibilisme illimité [127]. Le critère de la non autocontradiction performative "peut servir comme critère de distinction des présuppositions transcendantalement nécessaires et, par là même, universelles, de l'argumentation" [128], il opère "comme critère de sélection de ce qui peut valoir en tant que fondé de forme reflexive et ultime" [129]. D'une certaine façon, la question «Pourquoi doit-on être rationnel?» peut se traduire dans celle-ci: «Pourquoi doit-on éviter l'autocontradiction performative?» [130]. Il s'agit du "critère essentiel de la rationalité autoréflexive du discours" [131]. Comme l'écrit Apel, chaque fois que la philosophie entreprend de "dénier l'évidence transcendantale et réflexive propre à la connaissance philosophique et aux prétentions à la validité qu'elle émet", "cette tentative la met dans une contradiction performative avec elle-même [132]. "En effet - écrit Apel dans un autre texte -, ni le dernier Wittgenstein, ni Rorty, ni un autre représentant post-heideggerien du tour «linguistique herméneutique pragmatique» n'ont pu renoncer jusqu'ici à la

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propagation de leurs thèses, qui contestent la possibilité ou la nécessité des exigences de validité et de principes universelles, sous la forme habituelle d'un appel aux philosophes à admettre la validité universelle de tout argument (par exemple, en ce qui concerne l'incommensurabilité des jeux de langage et des formes de vie inhérentes). Dans le cas contraire, ils eussent dû cesser de philosopher (sur la place publique)." [133]. "En résumé, les philosophes - sous peine d'autocontradiction performative - doivent concevoir le jeu de langage du discours argumentatif comme un jeu de langage transcendantal irréductible" [134]. Ceux qui «démasquent allègrement la rationalité», s'empêtrent dans une contradiction performative ou bien s'immunisent contre les critiques possibles en refusant la discussion argumentée (libération totale des règles)" [135].

14. Du principe de l'évitement de l'auto-contradiction performative découle le principe d'autointégration, ou d'autoalignement (Selbsteinholungsprinzip). D'accord avec ce principe, "nous devons reconstruire l'histoire humaine sociale et culturelle d'une telle façon que nous puissions rendre compréhensible le présuppose normatif de notre reconstruction - soit justement l'a priori du discours, qui appartient aujourd'hui à la facticité de notre être-au-monde - comme étant lui-même un résultat de histoire" [136]. Ou encore: "Dans le résultat propositionnel de ses recherches, [le chercheur] doit pouvoir faire comprendre qu'ait pu naître la prétention à la validité impliquée performativement dans sa recherche, il doit pouvoir faire comprendre qu'existe également la possibilité de principe de cette prétention, cette possibilité qui est elle-même présuposée performativement et de façon implicite, il doit pouvoir faire comprendre enfin la façon dont cette prétention et cette possibilité sont nées ainsi que la façon de les honorer." [137]. Il s'agit d'un principe fondamental, comme le souligne Apel: "A mon avis, le principe d'autoalignement montre de manière incontestable que la reconstruction rationnelle des processus de rationalisation doit à tout moment avoir la priorité sur les stratégies externes qui expliquent et dévoilent (par exemple celles de la sociologie des sciences, qui donnent des explications externes,

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ou des théories «base/superstructure» et autres concepts de la critique de l'idéologie, de la psychanalyse, de la «généalogie» au sens de Nietzsche ou de Foucault, des explications structuralistes, fonctionnalistes ou historiales de ce qui arrive au moment opportun, du déconstructivisme, etc.)" [138]. Au fond, le principe d'autoalignement correspond au refus de ce qu'on pourrait, à la suite de Victor Goldschmidt, appeller l'illusion de compétence diagnostique [139]. L'illusion de compétence diagnostique nous conduit toujours, dans l'élan du dévoilement, à dire plus que ce que l'on sait, c'est-àdire à oublier ce que Wittgenstein considérait une des plus grandes difficultés de la philosophie: "La difficulté en philosophie est de ne pas dire plus que ce que l'on sait" [140].

15. Il y a une différence transcendantale entre l'universalité empirique et l'universalité philosophique (pragmatico-transcendantale). Les universaux d'une "pragmatique philosophico-transcendantale du langage", à la différence des "«universaux linguistiques» empirico-généraux de la linguistique théorique" (celle de Chomsky et de Katz, par exemple), sont performativement évidents [141]. Les universaux empiriques ne sont pas indépassables, au sens pragmatico-transcendantal [142]. Les "présuppositions basiques <Hintergrundpräsuppositionen> contingentes du monde de la vie" ne sont pas indépassables [143]. Et le faillibilisme - contrairement à ce que prétendent les adeptes du faillibilisme illimité, et aussi quelqu'un comme Feyerabend [144] - ne peut pas s'appliquer aux énoncés philosophico-universels [145]. Apel développe longuement ce point, contre Habermas, qui, selon lui, identifierait les deux types d'énoncés [146]. Dans le "jeu linguistique" de la philosophie, "on peut parler de tous les jeux linguistiques avec prétention universelle de validité" [147]. Il y a, entre l'universalité philosophique

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et l'universalité empirique, une différence transcendantale [148], une "différence transcendantale entre des hypothèses empiriquement vérifiables et des énoncés portant sur les présuppositions de la vérification" [149]. La correction des présuppositions philosophico-transcendantales ne peut pas trouver son origine en des "évidences empirique externes", elle ne peut consister que dans le fait que "nous-mêmes (...) nous pouvons utiliser notre savoir infaillible a priori des présuppositions de l'argumentation, aussi contre le résultat de son explication" [150]. Il ne s'agit pas d'une correction au sens rigoureux, mais d'une autocorrection [151].

16. À ce type de fondation, la fondation pragmatico-transcendantale, s'oppose le concept logico-formel de fondation. Le recours pragmaticotranscendantal à des présupposés indépassables ne doit pas être envisagé d'un point de vue logico-formel [152]. Comme l'écrit Apel, "l'abstraction de la dimension pragmatique de l'argumentation (...) amène à ne plus guère penser le problème de la «fondation ultime» que comme un problème touchant les présuppositions des énoncés et des propositions logiques (syntatico-sémantiques) [153]. On réduit la question de la fondation à celle de la déduction, en ignorant les thèmes de la réflexion et de l'examen transcendantal [154]. On dogmatise "une prémisse «évidente» par des déductions logiques" [155]. Le concept logico-formel de déduction - la "fondation considérée commedéduction de quelque chose à partir de quelque chose d'autre (déduction, induction ou abduction)" - est "aporétique" [156]. Il est l'exemple même d'une fondation "dogmatique" et "métaphysique" [157].

17. Le concept logico-formel de fondation obéit au paradigme sémanticoréférentiel en philosophie. Ce paradigme est celui du Tractatus de Wittgenstein, ou de Tarski, qui envisage la "restauration onto-sémantico-

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formelle (...) de la théorie de la vérité comme correspondence" [158], et qui commande le refus d'accepter tout critère d'évidence au sein de la problématique de la fondation [159]. Toute question relative à l' autocontradiction perfomative est évacuée au bénefice du "principe logico-formel de la non-contradiction propositionnelle ", la "rationalité logico-mathématique'' tend à faire oublier la "rationalité autoréflexive du discours" et le principe de contradiction pragmatico-transcendantall [160]. Comme l'écrit Apel, "l'autoréflexion du sujet humain sur ses opérations intellectuelles (...) est a priori" mise entre parenthèses au niveau des systèmes syntactico-sémantiques" [161]. Il s'agit d'un deni de la réflexivité, qui nous conduit à une situation aporétique [162]: "de Russell à Tarski, la thématique méta-logique et méta-mathématique de la hiérarchie des méta-langages et des méta-théories" a fonctionné "comme ersatz de la thématique de la réflexion de la conscience de soi sur elle-même" [163].

18. Caractéristique du paradigme sémantico-référentiel est le paralogisme abstractif. Le paralogisme abstractif consiste dans la "réduction logicosémantique du problème de la connaissance" [164], dans "l'absolutisation métaphysique de la sémantique logique" [165], dans "l'objectivation abstractive des structures argumentatives dans la logique apodictique" [166]. Le paralogisme abstractif serait solidaire de la "position antiphénoménologique de la première phase de la philosophie analytique" [167].

19. Une des conséquences les plus désastreuses du paradigme semanticoréférentiel est l'évidement du concept d'intentionnalité. Comme l'écrit Apel, l'intentionnalité du sens "est toujours autoréflexive car ce n'est pas seulement le vouloir dire autre chose qui est en jeu, mais le savoir réflexif du sens de ce vouloir-dire subjectif. C'est à ce titre que le concept d'intentionnalité

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du sens se trouve méthodiquement exclu du paradigme sémanticoréférentielm du sens du langage" [168].

20. Dans le contexte du nouveau paradigme de la prima philosophia - le paradigme pragmatico-transcendantal -, le solipsisme méthodique devra être éliminé [169]. Comme l'écrit Apel: "Par «individualisme méthodique» ou «solipsisme méthodique», j'entends cette supposition, qui à mon avis n'a jusqu'à présent guère pu être dépassée, selon laquelle le fait que l'homme soit, considéré empiriquement, un être social, n'empêche pas que la possibilité et la validité de la formation du jugement et de la volonté puissent principiellement être comprise sans la présupposition logico-transcendantale d'une communauté de communication, donc pour ainsi dire comme l'opération constitutive de la conscience de l'individu" [170]. La "critique du sens", en analysant les "présuppositions du discours théorique et pratique", refute le solipsisme méthodologique [171]. Le solipsisme méthodique est solidaire de la thèse husserllienne de la pure évidence prélinguistique de l'autodonation <Selbstgegebenheit> des phénomènes [172], thèse qui, pour Apel, est irrecevable. Le "sujet de toute question philosophique possible, n'est pas, en quelque manière que ce soit, un sujet pensant principiellement solitaire et autarcique, comme le voulait le solipsisme transcendantal ; il est plutôt, dès toujours, - en raison de la structure, médiatisée parle langage, de la pensée, et de ses prétentions intersubjectives a la validité: sens, vérité, authenticité et justesse normative - le sujet d'une argumentation liée au dialogue" [173]. Le "dépassement" du solipsisme méthodique se fait en direction d'une «communauté interprétative des chercheurs» [174], et ce «dépassement» est plus radical que celui, proposé par Habermas, fondé sur la distinction entre pensée «monologique» et «dialogique» [175]. Du point de vue de l'éthique, un tel dépassement commandera la transformation apelliene du «fait de raison» kantien [176].

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La fondation proprement philosophique, de son côté, s'inspire d'une réflexion pragmatico-transcendantale: "le langage de la philosophie - (...) lui seul, à la différence du langage de toutes les sciences particulières - pose le problème d'une réflexion pragmatico-transcendantale sur les conditions de possibilité et de validité du discours sur le discours" [177].

22. La réflexion pragmatico-transcendantale met en jeu l'auto-référentialité du langage. L'interdiction d'auto-référentialité propre au paradigme logicosémantique - la "stratégie d'exclusion par la sémantique philosophique scientifique, du sens pragmatique, autoréférentiel" , la "mise à l'écart du sens pragmatique autoréférentiel" [178] - ne vaut pas pour la philosophie. Selon Apel, "les énoncés typiquement philosophiques sont réflexifs en ce qui concerne leur propre prétention à la validité et doivent être inclus dans le cadre de validité de leur prétention universelle à la validité. De cette façon, on distingue cette prétention universelle à la validité, non pas seulement de la prétention empirique-générale à la validité des énoncés de lois dans les sciences de la nature, mais aussi de la prétention universelle a priori à la validité des énoncés mathématiques (et métamathématiques) qui, de par leur nature, ne peuvent pas être autoréflexifs [179]. Cette autoréférentialité est propre au "sujet pragmatico-transcendantal de argumentation" [180] - les "intentions auto-référentielles" sont "inhérentes" aux "actes d'argumentation" [181] - et à la philosophie [182]. L'"évidence réflexive" de cette dernière ne peut pas se concevoir sans l'auto-référence, et la dissolution des antinomies sémantiques ne saurait se produire "en interdisant au langage philosophique d'être auto-référentiel: on ne peut les dissoudre au contraire, qu'en lui interdisant une dénégation de principe de la prétention auto-référentielle à la vérité, à la véridicité, qui est propre à la parole de l'homme" [183]. C'est la "possibilité d'autoréférentialité de son sens" qui caractérise le 'Iogos sémantique propre à la langue naturelle" [184]. On doit donc admettre

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" l'autoréférentialité pourvue de sens de l'intentionnalité consciente de l'être humain", "l'intention autoréférentielle de sens de l'homme" [185].

23. Il y a une double structure (perfomative et propositionnelle) de tout acte de langage. Comme l'écrit Apel - on vient de le citer -, "le logos sémantique de la langue naturelle - à la différence de la langue artificielle élaborée par les mathématiques - n'exclut pas l'autoréférence pourvue de sens de l'intentionnalité consciente de l'être humain" [186]. En conséquence, la "portée sémantique de la théorie des actes de langage ne peut s'élucider qu'à la lumière d'unepragmatique transcendantale du langage (dans le cadre d'une sémiotique transcendantale)" [187]. Le fait est que " tous les actes locutoires possèdent simultanément la «force» potentielle des actes illocutoires", et cela signifie que "leur signification (meaning) établie par les conventions ne se limite aucunement a lareprésentation vraie ou fausse d'états de choses, mais qu'elle règle aussi, sous une forme intersubjectivement valide, la force pragmatique possible de l'énonciation de la phrase comme acte communicationnel illocutoire" [188]. On doit insister sur l'aspect énergétique - la «force» - des actes illocutoires [189]. Il se sépare, pour ainsi dire, du versant figural de la représentation. Dans quel sens peut-on donc maintenir la distinction entre la "signification au sens d'une représentation propositionnelle d'états de choses", la "signification sémanticoréférentielle", et la "signification au sens d'une «force» pragmatique possible", la "signification pragmatique potentielle"? [190]. La langue naturelle possède "une double structure perfomative-propositionnelle" [191]. La signification propositionnelle et la signification perfomative des phrases sont "complémentaires": "la double structure ou lastructure de complémentarité se révèle probablement constituer le caractère distinctif du logos propre au langage humain" [192]. Plus: "même le discours apparemment purement sémantico-

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référentiel présuppose la réflexion pragmatico-transcendantale sur les prétentions de validité des actes de langage communicationnels" [193]. Ou: "même la satisfaction des prétentions de sens et de vérité liées aulogos propositionnel exige une critique et la formation d'un consensus de type argumentatif qui présupposent la complémentarité du logos performatif-communicationnel et du logos propositionnel" [194].

24. Une position du type de celle de Apel, on a déjà commencé à le voir, suppose une réflexion autour de l'intersubjectivité. C'est la validité intersubjective de la vérité qui définit le horizon de celle-ci [195]. L'objectivité même de la science la suppose [196], et l'éthique du discours s'appuie sur un " paradigme intersubjectiviste de la transcendentalité" [197].

25. Le "Je pense" doit être compris comme "J'argumente". Le "Je pense" ne peut plus être conçu comme quelque chose "prétendument pré-langagier et pré-communicatif, comme une évidence indépendante de l'interprétation" [198]. L'a. priori vraiment indépassable de la fondation pragmatico-transcendantale n'est pas le "Je pense", mais le "J'argumente" [199].

26. L'intersubjectivité se vit dans l'anticipation contrafactuelle de la communauté idéale de communication dans la communauté réelle de communication. La "recherche de la vérité, avec la présupposition du consensus intersubjectif" doit "anticiper la morale d'une communauté idéale de communication" [200], une communauté communicationnelle infinie" [201]. Il s'agit d'une nécessité intrinsèque au processus argumentatif [202]. Toute argumentation sérieuse de la part du sujet montre que "nous avons toujours déjà reconnu, nécessairement, que nous sommes membres d'une communauté d'argumentation rélle, puis d'une communauté d'argumentation

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idéale
anticipée de manière contrefactuelle" [203]. La communauté communicationnelle idéale est anticipée (en tant que possibilité réelle) dans la communauté réelle dont le sujet, et ses partenaires de communication, "par un processus de socialisation", sont eux-mêmes des membres [204]. On doit prendre en considération "l'entrecroisement pragmatico-transcendantal" de ces deux communautés [205]. Il y a, bien sûr, une contradiction entre ces deux communautés, mais on doit "postuler moralement (...) la réalisation historique de la communauté communicationnelle idéale dans la communauté communicationnelle réelle" [206]. On doit "coopérer à la supression approximative de cette différence, à longue échéance" [207], à l'"abolition" du fossé entre les deux communautés" [208]. La considération de la communauté rélle exhibe les "dimensions socio-culturelles et historiquement conditionnées" qui sont "les conditions de départ de tout discours concret" [209]: la "langue concrète", une "précompréhension des problèmes, et un "accord minimal sur les certitudes paradigmatiques et les prémisses acceptées de l'argumentation" [210]. La communauté réelle comprend des "systèmes d'auto-affirmation - individus et groupes" [211]. Mais quiconque argumente sérieusement dépasse nécessairement l'horizon contingent de la communauté réelle, et il "doit recourir aux conditions et aux présuppositions idéales et universellement valides de la communication dans une communauté communicationnelle idéale" [212]. Il admet "l''égalité principielle des droits de tous les partenaires de la communication" [213], l'absence de toute domination" [214]. On prend ainsi simultanément en compte le «régne des fins» de Kant - qui "présente dans une certaine mesure la préfiguration métaphysique de l'a priori de la

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communauté communicationnelle idéale " - et l'a priori de la «facticité» des «formes socio-culturelles de vie» [215].

27. La communauté de communication est une communauté interprétative (Royce). L'ensemble des significations transmises sous forme de tradition par les collectivités passées est susceptible d'être compris et interprété par les collectivités futures [216]. La communauté d'interprétation est une catégorie fondamentale des Geisteswissenschaften - elle fournit un peu le cadre pour l'exercice de la compréhension -, et elle fait pendant aux faits objectivement donnés, qui sont le lieu d'exercice de l'explication analytique [217]. Elle est la condition de possibilité du "sujet transcendantal de la connaissance vraie" [218].

28. On peut aussi parler d'une communauté d'argumentation, qui "présuppose la reconnaissance de tous les membres en tant que partenaires de discussion à égalité de droits", la "reconnaissance réciproque des personnes en tant que sujets de l'argumentation logique" [219]. La communauté d'argumentation se construit sur "l'expérience interactionnelle" de tous les membres de la collectivité [220], et elle est présupposée par la "communauté des savants" [221]. Le sujet, même quand il "pense dans une solitude effective", est toujours le "membre d'une communauté d'argumentation", dans la mesure même où il a un "intérêt pour la vérité" [222].

29. Peirce appelait une telle communauté la communauté illimitée de chercheurs. La communauté illimitée des chercheurs tend naturellement vers l'établissement d'un accord ultime [223], et elle est l'image du "sujet de la connaissance vraie possible <Subjekt der möglichen wahren Erkenntnis>" [224] qui symbolise "un dépassement principiel de l'égoïsme de l'être fini - une

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sorte d'abnégation de soi (self-surrender), au sens d'un «socialisme logique»" [225].

30. La rationalité de la communauté argumentative est unerationalité communicative et non pas une rationalité purement stratégique. La pensée de Apel est unepensée de la rationalité, de la rationalité "consensuelle et communicationnelle mais par là même éthique et normative" [226]. Il s'agit, nous l'avons déjà souligné, de "fournir (...) les bases d'une théorie philosophique de la rationalité" [227]. La «déconstruction» de la rationalité, on la vu, engendre une contradiction performative [228]. "Si l'on analyse plus précisément les arguments qui incitent à s'émanciper totalement du joug de la rationalité occidentale, il apparaît la plupart du temps rapidement que ces arguments sont eux-mêmes, en tant que tels, rendus possibles par la rationalité qu'ils dénoncent - surtout lorsqu'il s'agit d'invoquer les droits de l'homme et les prétentions à la validité correspondantes. Il s'agit ici d'éviter que soient mises en question les présuppositions transcendantales de toute critique - celles aussi qui, précisément, sont adressées à l'eurocentrisme (ou, de manière analogue, à la pensée masculine) -, en en appelant à des instances irrationnelles (par exemple à «l'autre de la raison»), et que par là même, la critique s'abolisse elle-même" [229]. Apel se propose d'élucider la rationalité communicationnelle, mais il ne s'agit pas, pour lui, d'éliminer toute considération relative à la rationalité stratégique. L'éthique de la discussion, en tant qu'éthique de la responsabilité, trouvera une place pour la rationalité stratégique [230]. Mais - et il s'agit là d'une "conquête époquale de l'État de droit" - on doit rendre possible "un comportement moral libre de toute stratégie" [231]. La communauté d'argumentation doit viser "l'applicabilité d'une rationalité discursive libre de toute stratégie" [232].

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31.
L'ensemble de ces considérations décrit le passage d'une philosophie de la conscience à une pragmatique transcendantale [233]. Apel reconstruit trois paradigmes de la prima philosophia, à partir d'une réflexion sur la relation triadique du signe selon Peirce [234]. La suite de ces paradigmes "implique une sorte d'idée hégélienne du progrès continu dans l'histoire de la pensée humaine" [235]. Le premier est celui de la métaphysique pré-kantienne, de la "métaphysique qua ontologie" [236]. Le second paradigme est celui - kantien (mais peut-être peut-on y voir des «anticipations» chez Augustin et Descartes) - qui se définit "par le fait que l'objectivité de ce qui est est réfléchie en tant que telle, et comprise par principe comme corrélat de la subjectivité transcendantale de la «conscience large». C'est pourquoi l'autoréflexion de la subjectivité transcendantale chez Kant et, de façon encore plus radicale chez les idéalistes post-kantiens, peut exercer la fonction de fondation ultime" [237]. La philosophie de Husserl est l'aboutissement de ce paradigme [238]. Le troisième paradigme est la conséquence de l'action conjointe du «linguistic turn» et du «pragmatic turn» de la philosophie. Il réalise le "dépassement du «solipsisme méthodique» (Husserl) de la philosophie transcendantale classique" [239]. (Quatre autre paradigmes sont aussi suggérés par Apel [240], qui peuvent pourtant être compris comme des sous-types ou des sous-paradigmes de la prima philosophia [241].)

32. Le statut de la conscience n'est pourtant pas éliminé. Il est vrai que, dans le troisième paradigme, le «langage» a remplacé la «conscience» dans la discussion du problème de la «compréhension» [242]. Le statut de la «conscience» était, selon Apel, à la racine des problèmes constitutifs du second paradigme auparavant mentionné: une conscience qui fait l'économie de la médiation linguistique ne peut pas rendre compte de la validité intersubjective de l'évidence phénoménale [243]. Mais l'"autonomie de l'individu", et

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donc le rôle de la conscience - dont on doit, par ailleurs, étudier l'ontogenèse [244] - doivent être maintenus dans le cadre des procédures visant à établir le consensus au sein de la communauté d'argumentation [245].

33. Le même pourra être dit de l'évidence. La position de Apel n'est pas celle des «sémanticistes» - Carnap, Tarsky - et des poppériens, qui refusent toute valeur critériologique et fondationnelle à l'évidence [246]. Popper a dû adopter une position décisionniste [247], et Otto Neurath aura été, dans son adoption d'une théorie de la vérité-cohérence, l'un des penseurs les plus conséquents dans son refus du critère de l'évidence [248]. Mais "les approches qui sont dirigées contre la possibilité d'une évidence phénoménologique fondationnelle conduisent elles-mêmes dans des apories aussi graves que celles qui attendaient la phénoménologie classique" [249]. L'évidence ne se réduit pas pour Apel à un simple "vécu <Erlebnis>" privé [250]. La théorie phénoménologique de la vérité comme évidence - une théorie critériologiquement importante - «dépasse» la théorie de la vérité-correspondance [251], et elle peut intégrer "la formation du consensus sur la validité intersubjecfive" [252]. Son défaut, aux yeux d'Apel, repose sur la présupposition du caractère prélinguistique de l'autodonation des phénomènes [253], et sur le solipsisme méthodologique qui l'accompagne [254]. En plus, le «sentiment d'évidence» doit être "corrigé" par l'"évidence phénoménale objective" [255], l'évidence empirique [256], l'"évidence phénoménale authentique" des sciences naturelles [257]. On peut "la considérer comme le remplissement objectivement donné de l'intentionnalité de ma

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conviction en regard d'un état des choses" [258]. L'évidence doit être «médiatisée» par le langage, l'"évidence privée de la connaissance <privat Erkenntnisevidenz>" n'est pas acceptable [259]. Hegel a fait la critique de cette évidence phénoménale: mais le dépassement hégélien de l'évidence empirique - la certitude sensible - par "la vérité de son interprétation dans le concept", échoue à cause de l'insuffisance de sa théorie du langage, qui ignore l'importance des indicateurs ; la doctrine hégélienne n'est pas "ouverte à l'expérience empirique de l'objectivité générale accessible aux sciences de la nature" [260]. (La bonne doctrine, de ce point de vue, semble être, la position «phaneroscopique» de Peirce [261]. Mais, même avec ce supplément, elle n'est pas encore un "critère suffisant de vérité" [262].) Il reste l'évidence réflexive, qui est spécifiquement philosophico-transcendantale et qui ne se rapporte plus à "la science faillible, empirique et hypothétique", mais aux propositions " que l'on ne peut pas entendre sans savoir qu'elles sont vraies" [263] et que l'on ne peut pas dénier sans entrer en contradiction performative avec soi-même [264]. Il s'agit de l'évidence transcendantale apodictique propre aux présuppositions qui sont nécessaires à l'argumentation [265]. Mais même ce dernier type d'évidence - la plus absolue, pour ainsi dire -, l'évidence "réflexive-transcendantale", n'est pas une évidence prélinguistique: elle est fortement ancrée dans le langage, impregnée de langage (tout comme le Cogito, ergo sum cartésien) [266]. Apel, à la suite de Wittgenstein, la nomme "évidence paradigmatique" [267]. Wittgenstein, dans le Tracfatus, l'aurait pressentie, sous la forme de «ce qui ne peut que se montrer», mais la thématisation de ce pressentiment est chez Wittgenstein enveloppée dans des apories presque insolubles [268]. Le Sur la certitude représenterait une autre dimension de l'enquête, plus proche d'une

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vraie résolution de ce problème [269]. Mais le vrai support de la position apelliene se trouve dans la sémiotique transcendantale de Peirce [270]. Par une analyse du jeu reciproque des trois catégories peirciennes, Apel suggére "la nécessaire coïncidence de l'évidence et du consensus" [271].

34. L'importance accordée par Apel aux déictiques (ou indicateurs) prouve le role fondamental de l'évidence dans sa pensée. Hegel, on la déja dit, dans sa recherche du concept, manque la contribution que les indicateurs - «je», «ceci», «ici», «maintenant» - offrent "a la vérité propositionnelle et au sens d'une interprétation conceptuelle possible des phénomènes" [272]. C'est chez Peirce que Apel cherchera les fondements d'une théorie du rapport des indicateurs a l'évidence. Les trois catégories de Peirce: priméité, secondéité et tiercéité; les structures qu'elles saisissent: l'être tel et tel, libre de relations (et d'interprétations); la rencontre du moi et du non-moi, l'être donné des phénomènes pour la conscience; la vérité valide intersubjectivement d'une connaissance de quelque chose comme étant quelque chose, l'interprétation des signes; et les trois types ou fonctions de signes: icône, indice et symbole - présentent ensemble le modele des articulations qui permettront de relier l'évidence phénoménale a l'évidence transcendantale et d'illuminer la situation des déictiques, ou indicateurs, dans ce contexte. L'évidence empirique phénoménale, liée aux indices, celle des indicateurs, "peut être intégrée, en principe, au niveau des sciences de la nature, dans la vérité valide intersubjectivement de l'interprétation conceptuelle et verbale" [273], les indicateurs d'une langue "intègrent déja la sécondéité de la fonction d'indicateurs dans la tiercéité de la fonction symbolique" [274].Contrairement à ce qui se passait chez Hegel, le langage n'élimine pas, dans sa progression vers le concept, les indicateurs. L'

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"intégration sémiotique de l'évidence phénoménale" [275] est devenue possible [276].

35. La fondation pragmatico-transcendantale est une fondation éthique. Il y a une présupposition de l'éthique par la philosophie. Le discours argumentatif de la science présuppose, au sens le plus fort du mot, une éthique [277], "la fondation de l'éthique doit manifestement être déjà accomplie avant qu'on puisse jamais établir les sciences humaines comme organon de l'éthique" [278]. Et "même l'«objectivité» de la science axiologiquement neutre présuppose la validité intersubjective des normes morales» [279]. Il y a une «éthique de la logique» au sens où, préalablement au "seul usage logiquement correct de l'entendement de l'individu", il faut poser l'"exigence d'une reconnaissance réciproque des personnes en tant que sujets de l'argumentation logique" [280]. On amorce ainsi un "mouvement de retour reconstructif aux conditions pragmatico-transcendantales de la possibilité de la logique, et donc aussi de la science'' [281].

36. Cette présupposition de l'éthique est solidaire du refus du système occidental de complémentarité. Le «système occidental de complémentarité» se définit, selon Apel, par l'affirmation de la complémentarité de deux position philosophiques étanches: scientisme, ou pragmatisme, et existentialisme [282], ou, dit d'une autre façon, de la "complémentarité entre l'objectivisme axiologiquement neutre de la science d'un côté, et le subjectivisme existentiel des actes de foi religieux et des décisions éthiques de l'autre" [283]. Max Weber lui-même aura été obligé de suivre la logique d'un tel système: "Mis en situation de prendre une décision responsable, chacun devait choisir son Dieu" [284]. Il se semble ainsi illusoire de prétendre à l'établissement de la

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"fondation philosophique d'une éthique universellement valide" [285]. Et pourtant cette prétention est l'exigence la plus pertinente du point de vue éthique" [286].

37. C'est aussi une façon de considérer d'une façon nouvelle l'opposition entre compréhension et explication. Apel cherche une médiation "dialectique" entre "la méthode de la «compréhension» intersubjective du langage et les méthodes de l'«explication» objective du comportement" [287]. Les problèmes de la «philosophie analytique» et ceux des «sciences de l'esprit» coïncident d'une certaine façon [288]. La compréhension ne doit pas être vue comme une forme d'«empathie» [289]. "Avant que toute «explication» soit offerte, la science doit «comprendre» les nomées «sentences basiques <Basissätze>» en tant que protocoles des faits et comme interprétations humaines de ces faits" [290]. Il y a une complémentarité entre «compréhension» et «explication»: "L'explication objective des faits et la communication intersubjective au sujet de ce qui doit être expliqué sont (...) des aspects «complémentaires» de la connaissance humaine - au sens où N. Bohr utilisait le mot" [291]. Cette «complémentarité», Apel l'exhibe au travail dans la psychanalyse [292], dans la sociologie [293] et dans les «sciences objectives» [294].

38. L'éthique de la discussion est le nom de la prise en compte de l'exigence d'une éthique universellement valide. Elle part du fait que "c'est le discours argumentatif - et pas n'importe quelle forme de communication dans le monde de la vie - qui contient l'a priori rationnel de fondation pour le principe de l'éthique" [295]. Sa fondation est «pragmatico-transcendantale», et, tout en restant une éthique déontologique, à la manière kantienne, elle veut aussi être une «éthique de la responsabilité», au sens de Max Weber [296].

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Négativement, elle n'est pas une éthique de la vie bonne, à la façon d'Aristote [297]; ni une "éthique de la vie éthique substantielle des communautés humaines" comme le voulait Hegel [298]; ni encore une éthique de la rationalité stratégique utilitariste [299]; ni, enfin, une éthique des "affects moraux factuels" (pitié, sympathie, bienveillance, amour) [300]. Toutes cettes questions - en particulier celle, aristotélicienne, de la vie bonne - doivent être envisagées comme des «compléments» à l'éthique de la discussion, non pas comme des problèmes qui lui sont spécifiques: elles appartiennent à "une éthique pluraliste de l'autoréalisation individuelle, complémentaire de l'éthique de la discussion" [301]. Le problème de l'éthique de la discussion est donc celui de la "fondation discursive de normes universellement susceptibles de discours", et celui de son application "en tant qu' éthique de la responsabilité préoccupée par l'histoire" [302]. Ce deuxième aspect - l'éthique de la discussion comme éthique de la responsabilité <Verantwortungsethik> - correspond à une transformation de l'éthique de Kant qui doit dépasser "le point de vue d'une éthique abstraite-déontologique gouvernée par des principes faisant abstraction de la réflexion sur les conséquences à attendre lors de leur application à l'histoire" [303].

39. On thématise ainsi le passage des éthiques conventionnelles (ou de groupe) à l'éthiquepostconventionnelle (ou universelle). Dans le «monde de la vie», comme l'écrit Apel, "règne toujours une moraleconventionnelle - une «vie éthique substantielle naïve» au sens de Hegel [304]. La question que l'éthique de la discussion se pose est celle de la transformation de la morale conventionnelle dans une "éthique rationnelle postconventionnelle" [305] "prétendant à valoir universellement" [306] et permettant aux individus une "compétence morale postconventionnelle" [307]. Cette transformation exige "une fondation postconventionnelle des normes morales, sur la base d'un

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principe du discours universellement valide" [308], seule possible dans le contexte d'une "Aufklärung rationnelle" [309]. Le projet d'une telle fondation se développe en opposition aux adeptes "d'une éthique néo-aristotélicienne ou d'une éthique sceptique néo-hégélienne de l'assurance et du renforcement réflexifs d'un ordre moral régional, particulier et lié aux traditions" [310]. L'"éthique universelle", une "éthique universellement valide", vise à un dynamisme capable de dépasser "l'inértie des morales spécifiques de groupe" aussi bien que leur "non-simmultanéité" [311].

40. Les prétentions fondationnelles de l'éthique de la discussion nous conduisent à la question de son applicabilité. Dans "l'application historiquement déterminée de l'éthique de la discussion, il faut tenir compte de l' a priori «de facticité» (Heidegger) propre à toute argumentation concrète" [312]. L'éthique du discours "peut et doit se rattacher à l'ordre moral concrétisé historiquement dans les diverses formes de vie" [313]. Cette attention à la «facticité» - ou à "la situation sociale de la vie éthique concrète" [314] - empêchera l'éthique de la discussion de succomber à la "prétention de pouvoir déduire les normes matérielles, liées à des situations particulières à partir, par exemple, des normes fondamentales établies par fondation ultime" [315]. On appliquera l'éthique de la discussion au travers d'une " recherche discursive de l'adéquation situationnelle de l'application des normes" [316], et cette application se fera dans le cadre d'une "éthique de la responsabilité préocccupée par l'histoire" [317]. Il y a des conditions d'application de l'éthique de la discussion "lorsque l'on peut moralement répondre de l'application d'un principe d'action - respectivement: d'une maxime qui lui corresponde - à une situation donnée (et qu'elle est donc dans cette mesure ordonnée), et ce grâce à la faculté de juger (je présuppose avec Kant que même dans les cas où les conditions d'application sont suffisament satisfaites, l'application doit avoir

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lieu par l'intermédiaire de la faculté de juger)" [318]. Il va de soi que la possibilité d'appliquer l'éthique de la discussion dépend du "caractère favorable ou défavorable des traditions de vie éthique liées aux formes de vie particulières" [319]. Cela ne veut pourtant pas dire que "pour relier la fondation consensuelle des normes à l'histoire" on puisse se limiter aux " coutumes conventionnelles de l'application" [320]. La partie fondationnelle «B» de l'éthique du discours - celle, précisément, qui a trait aux conditions de l'application [321] - se développe au travers de la notion de "responsabilite reliée à l'histoire" [322].

41. L'éthique de la discussion se prolonge, on vient de le voir, dans une éthique de la responsabilité. Nous sommes responsables "face à la conservation des conditions naturelles de la vie et des acquis historico-culturels de la communauté communicationnelle réelle qui existe actuellement dans les faits [323]. La question de l'éthique de la responsabilité doit être posée sous "une forme historiquement articulée" [324]. On ne part jamais d'un "point zéro de l'histoire" [325]. L'éthique de la discussion est une éthique de la responsabilité [326], ou, mieux encore, une éthique "de la coresponsabilité, en tant que concept postconventionnel de responsabilité" [327], "une responsabilité que l'individu partage a priori avec tous les partenaires de discussion, au sens d'une solidarité de la communauté de résolution de problèmes" [328]. Ainsi s'ajoute à la partie fondationnelle «A» de l'éthique de la discussion une partie fondationnelle «B», qui comporte une dimension téléologique, "et par là, également, une dimension d'évaluation des circonstances situationnelles, ainsi qu'une dimension liée aux impératifs hypothétiques de la rationalité stratégique" [329]. C'est d'ailleurs le sens général

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de la critique par Apel du Principe U d'Habermas: il ne prendrait vraiment pas en compte la dimension fondationnelle «B» de l'éthique de la discussion [330].

42. L'éthique de la discussion n'ignore donc pas le problème de la contingence. On n'oublie pas les "présupposés basiques contingents du monde de la vie" [331], "l'a priori contingent du monde vécu" [332], la «base consensuelle historiquement contingente» (Gadamer) [333], l'"identité contingente" de "chaque destinataire de l'éthique" [334]. Mais, justement, l'éthique de la discussion analyse cette contingence à partir de l'" a priori non contingent du discours argumentativ" [335]. Ce qui veut dire que le contingent, le factique, n'élimine pas le non-contingent, le transcendantal, sans lequel le contingent lui-même ne serait pas pensable.

43. Déontologie et téléologie se complètent. L'éthique de la discussion, em complétant la fondation «A» par la fondation «B», réunit déontologie et téléologie, même si cette dernière ne se conçoit pas à l'image des éthiques (néo-aristotéliciennes) de la vie bonne ou des éthiques utilitaristes [336]. Même si la fondation «A» reste, dans un certain sens, la plus importante [337], il y a, entre le versant déontologique et le versant téléologique, une certaine «complémentarité» [338]: l'éthique du discours n'est pas "purement déontologique" [339], elle exige un "principe téléologique complémentaire" [340].

 

III. LIMITATIONS DE LA CONCEPTION APELLIENE DE LA RATIONALITÉ.
La philosophie de Apel fait système. Il y a pourtant, on peut le penser, des zones d'ombre dans la théorie pragmatico-transcendantale de la rationalité

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communicative. On se limitera, dans ce qui suit, à indiquer quelques aspects qui semblent ne pas avoir été suffisament soulignés par Apel, et qui, à notre avis, méritraient de l'être. On se permettra aussi d'émettre quelques doutes au sujet de certains de ses «concepts-fétiche». Aucun de ces commentaires ne s'oppose au sens général de la démarche d'Apel. Comme nous l'avions dit, il s'agit surtout d'éclairer des détails laissés dans l'ombre.

La question des «jeuxd e langage» pose, semble-t-il, un problème. Il semble difficile de concevoir, en stricte orthodoxie wittgensteinienne, un jeu de langage transcendantal universel, qui, pour ainsi dire, rendrait compte de tous les jeux de langage particuliers. Dans quel sens, en gardant le concept de «jeux de langage», Apel peut-il maintenir le programme d'une fondation ultime pragmatico-transcendantale? Le concept kantien de «manière de penser» (Denkungsart) ne serait-il plus utile, du point de vue même de Apel? On peut le penser. Il pourrait peut-être être associé au concept de forme de vie (Lebensform). Une forme de vie est une activité qui porte en elle une structure de compréhension, compréhension et activité étant, dans ce contexte, concepts réciproques. La manière de penser chez Kant est elle aussi une forme de vie. On ne dira pas qu'elle est un jeu de langage, ce dernier concept étant dans un certain sens à la fois beaucoup plus équivoque et moins souple que celui de forme de vie. Mais une manière de penser est une forme de vie dans la mesure où elle porte en soi une structure de compréhension qui se définit elle-même comme activité: elle est activité compréhensive et compréhension active. La manière de penser des spectateurs de la Révolution française n'est pas passive: c'est à elle que revient la création de événement [341]. On peut dire le même en ce qui concerne le moment du sublime: c'est à une activité intérieure "hallucinante" du sujet qu'il doit sa présentation. Les maximes du sens commun du paragraphe 40 de la Critique de la faculté de juger, elles aussi, sont des maximes d'une activité, de l'activité critique, elles désignent une forme de vie et possèdent un contenu pragmatique manifeste. La compréhension critique est une forme de vie. Et elle est une forme de vie qui nous permet une vue générale <Übersicht> de toutes les formes de vie. Au fond, la question qu'on se pose est la suivante: peut-on se passer des «jeuxd e langage», adopter les «manières de penser», et garder les «formes de vie»?

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En deuxième lieu, l'idée du dépassement des paradigmes philosophiques pose quelques problèmes. En quel sens, par exemple, peut-on parler du dépassement du solipsisme méthodologique (cf. le paragraphe 20)? Ne doit-il pas être gardé comme figure-limite pour certaines expériences de pensée? Dans quelle mesure l'action conjointe du «linguistic turn» et du «pragmatic turn» permet-elle un dépassement de Kant et de Husserl (cf. Les paragraphes 31 et 32)? La philosophie du langage dépasse-t-elle la philosophie de la conscience (cf. le paragraphe 32)? Il y a sans doute des «révolutions en philosophie» et des «transformations en philosophie»: Descartes, Kant, par exemple - mais est-ce que Kant a dépassé Descartes? Est-ce que Descartes a dépassé Aristote?

Une question: ne faudrait-il pas rouvrir le dossier sur la supposée cécité de Kant, et des héritiers de Kant, par rapport à la question du langage (cf. Le paragraphe 32)? Schleiermacher, par exemple, développa une profonde théorie du schématisme linguistique, dans le contexte du «linguistic turn» qu'il opéra sur le «Je pense» kantien (Christian Berner, dans un livre récemment publié, l'a montré de façon éclairante [342]). Selon Uhlan Slague, le dernier Humboldt aurait lui aussi essayé d'appliquer l'idée kantienne de schème au système du langage [343]. D'autres auteurs, dont le Hollandais Johannes Kinker (1764-1845), ont proposé une théorie mentaliste du langage inspirée de Kant [344]. Le rapport du kantisme à la philosophie du langage est d'ailleurs extraordinairement riche. Il s'inaugure par les critiques de Hamman et de Herder, qui, on le sait, reprochent à Kant l'absence d'une vraie réflexion sur le langage [345]. Mais ce reproche n'est que partiellement justifié. Le paragraphe 39 des Prolégomènes pose directement la question du rapport entre les catégories et les éléments du langage [346], et l'Anthropologie et la troisiéme Critique fourmillent de réflexions sur le

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langage [347]. Fichte a poursuivi une telle recherche transcendantale dans De la faculté linguistique et de l'origine du langage (1795) [348]. Et A. F. Bernhardi, dans les deux volumes de laSprachlehre (1801-1803), a profondément illustré le programme d'une grammaire kantienne (et, surtout, fichtéenne) [349]. Il faudrait aussi ajouter qu'on commence à porter un regard plus attentif sur le rapport kantien à la rhétorique et à l'éloquence (nous pensons aux travaux récents de Michèle Cohen-Halimi [350]). Apel n'ignore pas, bien sûr, ce genre de questions, mais, en le lisant, on peut difficilement éviter l'impression qu'il tend à simplifier la position de Kant dans cette matière.

Mais revenons à la question des «paradigmes». Ne faudrait-il plutôt défendre une pluralité systématique des paradigmes? La pluralité systématique n'est pas la pluralité érigée en système. C'est, au contraire, la recherche des lieux fondamentaux de l'exercice de l'esprit et des manières de penser particulières à chacun de ces lieux, et l'articulation rationnelle des paradigmes qui leur correspondent. Peut-on, par exemple, éviter la primauté du paradigme sémantico-référentiel (cf. les paragraphes 17-18) dans le domaine des «sciences d'objet», correspondant à la figure épistémologique de la preuve? Ne devrait-on pas déterminer aussi un paradigme, que l'on pourrait peut-être appeler démonstrativo-évidentiel, pour les mathématiques et pour les composants esthétiques de la connaissance? En effet, la critique que Apel fait du sentiment d'évidence (cf. les paragraphes 33-34), et cela en dépit de la profondeur et de la richesse de ses vues, laisse l'impression qu'il s'attarde peu sur la compléxité propre à ce sentiment. Il ne discute pas non plus, à notre connaissance, le poids du terme volonté, dans l'expression "volonté d'argumenter", un a priori de la communication (cf. le paragraphe 8). Sentiment et volonté sont, pourtant, des mots lourds de signification, sur lesquels on aimerait le voir se prononcer. L'articulation des théories philosophiques de la démonstration (d'Aristote ou de Locke, par exemple) avec le paradigme pragmatico-transcendantal n'est pas facile à déterminer non plus.

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Apel offre des arguments extrêmement puissants pour souligner la portée fondationnelle du paradigme pragmatico-transcendantal. Mais il est légitime de douter que ce paradigme puisse dépasser les autres sans éliminer du même coup bon nombre de questions philosophiquement importantes et sans tomber dans des apories plus profondes que celles qu'il dénonce. Certaines thèses de Apel - l'idée de la fondation ultime pragmaticotranscendantale, celle de l'auto-contradiction performative, ou encore celles d'un a priori transcendantal de l'argumentation et d'une communauté d'argumentation - semblent être décisives pour une théorie philosophique de la rationalité. C'est le côté pour ainsi dire négatif de certaines thèses (l'exclusion, ou le dépassement, des autres paradigmes) qui, à notre avis, pose problème.

Il ne s'agit pourtant pas d'un problème indépassable. Rien ne nous empêche, par exemple, à l'intérieur même du programme d'investigation de Apel, d'enquérir sur la place du sujet dans l'argumentation. On n'ignore nullement que ce n'est pas là une direction de travail qu'Apel affectionne particulièrement, mais on ne voit pas non plus qu'il y ait des contradictions criantes inhérentes à un tel projet. Depuis Kant, on sait que le sujet est doublement scindé: en tant que sujet connaissant (paradoxe du sens interne), et en tant que sujet moral (insondabilité de l'intention). On ne risque donc pas de tomber dans les illusions transcendantales de l'autotransparence. Comme l'a écrit récemment Fernando Gil, dans le contexte de son investigation sur l'intelligibilité: "Il ne s'agit pas de revenir sur la suspicion à l'égard des égologies fondatrices, elle est tout à fait justifiée et n'est plus d'actualité, car on a renoncé depuis bien longtemps à ce type d'entreprise - on pourrait se demander au nom de quel intérêt on s'acharne à pourfendre les morts. [351]".

L'aspect le plus important du débat avec Apel pourrait pourtant être celui qui tourne autour du rapport entre la pragmatique transcendantale et la philosophy of mind. On sait que quelqu'un comme John Searle essaye de fonder la théorie des speech acts, et la philosophie du langage en général, dans la philosophy of mind [352]. On sait aussi que Apel n'approuve pas une telle démarche. Mais on e t en droit de se poser la question: la pragmatique transcendantale est-elle incompatible avec une approche du type de celle que la philosophy of mind pratique?

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Apparemment, oui. L'insistance sur le rôle de l'argumentation et de la communauté dans la fondation ultime pragmatico-transcendentale, par exemple, semble se trouver aux antipodes des questions portant sur la conscience, les contenus ou les qualia, qui sont au centre des débats dans cette discipline. Mais si l'on interprète la démarche de Apel comme un essai de réponse à la question "Qu'est-ce que penser?" (ce qui semble parfaitement légitime), les ponts qui l'unissent à la philosophy of mind deviennent, du coup, beaucoup plus manifestes [353].

Qu'est-ce que penser, pour Apel? Penser est argumenter et réfléchir, en ne fuyant pas l' auto-référentialité du langage. Plus précisément, penser est donner voix à une volonté d'argumenter et de réfléchir, en cherchant la vérité et le consensus, à l'intérieur d'une communauté de discussion. Penser c'est ne pas tomber dans une auto-contradiction performative, qui signifie exactement la destruction de la pensée. Le paradigme sémantico-référentiel ne suffit pas pour déterminer la complexité de la pensée, il implique, dés qu'absolutisé, un paralogisme abstractif et l'évidement du concept d'intentionnalité. La pensée possède, en tant qu'acte de langage, une double structure (pelformative et propositionnelle). Elle suppose l' intersubjectivité. "Je pense" veut dire "J'argumente". Autrement dit: la thèse du solipsisme est irrecevable. La figure de la conscience doit être conservée, même si elle ne peut plus garder les contours d'une «subjectivité transcendantale». De même, la recherche de l'évidence est le telos de la pensée, dans la mesure où elle fait nécessairement partie de ce consensus qu'on tente d'obtenir. Les déictiques , ou indicateurs - «Je», «ceci», «ici», «maintenant» - ne sont jamais éliminés dans notre progression vers le concept, ils sont toujours au travail dans la pensée. Penser, en fin, c'est réunir - en tant qu'activités complémentaires - la compréhension et l'explication.

L'ensemble de ces thèses peut parfaitement être discuté dans le cadre de la philosophy of mind. Une telle discussion devrait permettre une analyse du programme fondationnaliste de Apel avec les outils de cette discipline. L'intérêt de cette démarche serait manifeste si l'on accordait qu'une pensée de la rationalité est forcément une pensée sur l'activité de l'esprit, ou, dit

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d'une autre façon, sur les manières de penser. Et que toute entreprise fondationnaliste reste incomplète si elle ne procède pas à un tel enquête.

Concluons sur la question abordée dans la première section de ce texte. En quoi la pensée de Apel est-elle une pensée de la limite? Au sens où elle est une pensée de l'argumentation, et une pensée de l'argumentation fondée sur l'éthique. Au sens où elle analyse l'activité de l'esprit à partir d'un point de vue particulier, celui de la pragmatique transcendantale. Le dialogue décisif avec la pensée de Apel serait peut-être celui qui chercherait à intégrer le point de vue pragmatico-transcendantal dans la philosophy of mind, et, en même temps, essayerait d'analyser cette pensée de la limite du point de vue d'une enquête sur la "géographie logique" (l'expression est de Gilbert Ryle) des activités de l'esprit.

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[1] A pedido do autor, os editores decidiram permitir uma alteração às normas editoriais da Revista. [texte]

[2] Apel, 1996: 7. Toutes les références aux textes de Apel renvoient à la Bibliographie à la fin du texte. [texte]

[3] Apel, 1996: 8. [texte]

[4] Cette seconde section sera divisée en paragraphes, pour souligner l'articulation systématique des thèses de Apel. [texte]

[5] Sur la doctrine du point de vue unique dans le post-kantisme, cf. R. Lauth, "Genèse du Fondement de toute la Doctrine de la Science de Fichte à partir de ses méditations personnelles sur l'Elementarphilosophie", Archives de philosophie, 34, 1971, 51-79, et "La conception de la philosophie cartésienne par Reinhold au début XIXème siècle; ses conséquences pour le développement de la philosophie allemande", Les études philosophiques, 1985, 191-204; D. Breazeale, "Between Kant and Fichte : Karl Leonhard Reinhold's Elementar Philosophy", Review of Metaphysics, 35, 1982, 785-821; K. Ameriks, "Kant, Fichte, and Short Arguments to Idealism", Archiv für Geschichte der Philosophie, 72, 1990, 63-85. Sur Descartes comme philosophe du principe unique, et sur l'opposition de Kant à une telle philosophie, cf. Rudolf Malter, "L'analyse comme procédé de la métaphysique. L'opposition à la méthodologie wolffienne dans le Preisschriff de Kant en 1763 (1764)", Archives de philosophie, 42, 1979, 575-591. Dans l'idéalisme allemand, l'auteur qui semble s'être le plus éloigné des doctrines du principe unique c'est Schleiermacher (cf. Christian Berner, La philosophie de Schleiermacher, Cerf, Paris, 1995, p. 210). [texte]

[6] Cf. Bernard Williams, Ethics and the limits of philosophy, Collins, Glasgow, 1985. [texte]

[7] CRPratique , Ak., V:3; Pléiade, 2: 609-610. [texte]

[8] Cf. Cicéron, Partitiones oratoriae, XIII, 45-47; De natura deorum, III, 9; Quintilien, lnstitutio oratoria IV, 2, 79; VIII, Pr., 7; XI, 3, 164. [texte]

[9] Quintilien, XI, 3, 164. [texte]

[10] IV, 2. [texte]

[11] VI, 2. [texte]

[12] VIII, 3. [texte]

[13] Traité de l'amour de Dieu , Pléiade, 2:1052 [texte]

[14] Traité de morale , 1, 5. [texte]

[15] Traité de morale , 1, 5 et 6; La recherche de la vérité, VI, 1ère partie, chap 4. [texte]

[16] Cf. La recherche de la vérité, VI, 2ème partie, chap 1, Pléiade, 1:631-5. [texte]

[17] La recherche de la vérité , III, 2ème partie, chap 6, Pléiade 1:338-346. [texte]

[18] Entretiens sur la métaphysique , I et II. [texte]

[19] Entretiens sur la mort , I, Pléiade, 2:971. [texte]

[20] Entretiens sur la mort , I, Pléiade, 2:971. [texte]

[21] Entretiens sur la mort , I, Pléiade, 2: 972. [texte]

[22] La recherche de la vérité , I, chap 2, Pléiade, 1:34-5, et VI, 1ère partie, chap 1, Pléiade, 1:591; Entretiens sur la métaphysique, III, article IV, Pléiade,2:702. [texte]

[23] Entretiens sur la métaphysique , I, article VII, Pléiade, 2:679. [texte]

[24] Entretiens sur la métaphysique , I, article V. [texte]

[25] La recherche de la vérité , I, chap 2, Pléiade, 1:35, et VI, 1ère partie, I, Pléiade, 1:591. [texte]

[26] Traité de la nature et de la grâce , IIIème Discours, 1ère partie, 7, Pléiade, 2:113. [texte]

[27] Nous avons essayé de développer le concept kantien de "manière de penser" <Denkungsart> dans plusieurs endroits. Cf. notamment "Hipócrates e O pensamento da passagem", in Maria Luisa Couto Soares, éd., Hipócrates e a arte da medicina, Colibri, Lisboa, 1999, 11-61, et "Três maneiras de pensar (I)", Análise, 21, 2000, 113-184. [texte]

[28] Apel, 1989: 32-33; Apel, 1991: 38; Apel, 1992a: 133, 147; cf. aussi Apel, 1988 (sur la relation entre Heidegger et le «postmodernisme»)et, pour l'histoire des rapports de Apel à Heidegger, Apel, 1976a, I: Introduction, et pp. 225-275 et 276-334. [texte]

[29] Apel, 1989: 31. [texte]

[30] Apel, 1991: 38; cf. aussi Apel, 1994a: 38. [texte]

[31] Cf. Apel, 1991: 38. [texte]

[32] Apel, 1987b: 76. [texte]

[33] Apel, 1987b: 75. [texte]

[34] Apel, 1987b: 77. Sur la sémiotique transcendantale, cf. aussi 1987c, passim; et 1976a, I, 138-166. [texte]

[35] Cf. Apel, 1987a: 128, 129, 143, 144, 158; Apel, 1989: 36; Apel, 1991: 50, 57, 60; pour l'interprétation apellienne de Peirce, cf. Apel, 1975, passim; et 1976a, I, 157-177. [texte]

[36] Cf. Apel, 1976, II: 71, 73, 77,78, 79, 85, 87, 91; Apel, 1987b: 73; Apel, 1993: 524, 527,534; sur le rapport de Apel à Wittgenstein, cf. Apel, 1976a, I, 225-275, et 355-377. [texte]

[37] Apel, 1989: 30; cf. aussi Apel, 1981: 916, 925, 926. [texte]

[38] Apel, 1976, II: 78-79; 1987b: 93. [texte]

[39] Apel, 1987b: 75; Apel,1989: 31, 43; Apel, 1994a: 8, 36, 38. [texte]

[40] Apel, 1990: 54. Pour une profonde reprise contemporaine de la question de la fondation et du fondement, dans une perspective complètement différente de celle de Apel, cf. Fernando Gil, La conviction, Flammarion, Paris, 2000. [texte]

[41] Cf. Apel, 1996: 24, note 16. [texte]

[42] Apel, 1996: 85. [texte]

[43] Apel, 1987a: 119. [texte]

[44] Apel,1987b: 108. [texte]

[45] Apel,1987b: 110. [texte]

[46] Apel, 1990: 53. [texte]

[47] Apel, 1990: 46. [texte]

[48] Apel, 1990: 48; cf. aussi ibid.: 50. [texte]

[49] Apel, 1990: 9-10. [texte]

[50] Apel, 1990: 26. [texte]

[51] Apel, 1990: 11 [texte]

[52] Apel, 1990: 30. [texte]

[53] Apel, 1987a: 129. [texte]

[54] Apel, 1987a: 195. [texte]

[55] Apel, 1989: 41; cf. aussi Apel, 1990: 50, [texte]

[56] Apel, 1990: 39. [texte]

[57] Apel, 1990: 50. [texte]

[58] Apel, 1996: 8. [texte]

[59] Apel, 1990: 42. [texte]

[60] Apel, 1987a: 211. [texte]

[61] Apel, 1990: 54. [texte]

[62] Apel, 1993: 506; cf. aussi ibid.: 508. [texte]

[63] Apel, 1993: 509. [texte]

[64] Apel, 1994b: 7. Sur le rappori entre la fondation ultime et l'éthique, cf., plus loin, le paragraphe 35. [texte]

[65] Apel, 1993: 516. [texte]

[66] Apel, 1993: 523; cf. aussi ibid.: 530; sur la question de la fondation ultime, cf. aussi Apel 1988: 146 sqq. [texte]

[67] Apel, 1987b: 109. [texte]

[68] Apel, 1987b: 114. [texte]

[69] Apel, 1987b: 124-125. [texte]

[70] Apel, 1993: 508; Apel, 1994b: 47. [texte]

[71] Apel, 1994b: 62. [texte]

[72] Apel, 1993: 512; cf. aussi Apel, 1987a: 182. [texte]

[73] Apel, 1994b: 40. [texte]

[74] Apel, 1987b: 113. [texte]

[75] Apel, 1987b: 115. [texte]

[76] Apel, 1987b: 123. [texte]

[77] Apel, 1993: 516; cf. aussi ibid.: 522-523; et Apel, 1994b: 49-50. [texte]

[78] Apel, 1987b: 113. [texte]

[79] Apel, 1987b: 113. [texte]

[80] Apel, 1987b: 113; cf. aussi Apel, 1988: 161. [texte]

[81] Apel, 1994a: 47. [texte]

[82] Apel, 1994a: 48. [texte]

[83] Apel, 1987a: 124. [texte]

[84] Apel, 1987a: 138; sur cette question, cf. aussi Apel, 1983, passim. [texte]

[85] Apel, 1994a: 52. [texte]

[86] Apel, 1987a: 142. [texte]

[87] Apel, 1990: 34. [texte]

[88] Apel, 1991: 62. [texte]

[89] Apel, 1993: 515. [texte]

[90] Apel, 1993: 517; cf. aussi Apel, 1994b: 70. [texte]

[91] Apel, 1987a: 201. [texte]

[92] Apel, 1987a: 15; cf. aussi Apel, 1989: 41; et Apel, 1996: 19. [texte]

[93] Apel, 1987a: 145. [texte]

[94] Apel, 1987a: 191. [texte]

[95] Apel, 1989: 41. [texte]

[96] Apel, 1993: 518. [texte]

[97] Apel, 1987a: 196; Apel, 1988: 152. [texte]

[98] Apel, 1987a: 180. [texte]

[99] Apel, 1987a: 189. [texte]

[100] Apel, 1990: 10-11. [texte]

[101] Apel, 1990: 52; Apel, 1991: 65. [texte]

[102] Apel, 1996: 98, note 17. [texte]

[103] Apel, 1989: 47; Apel, 1991: 64. [texte]

[104] Apel, 1996: 21, note 11. [texte]

[105] Cf. Apel, 1987b: 60. [texte]

[106] Apel, 1996: 82. [texte]

[107] Cf. Apel, 1987b: 109, 119; cf. aussi Apel, 1991: 42. Nous nous limitons ici à présenter la position de Apel face à Popper, sans essayer d'imaginer une possible réponse popperienne aux objections d'Apel, ce qui nous éloignerait des propos de ce texte. [texte]

[108] Apel, 1994b: 45. [texte]

[109] Apel, 1994b: 45. [texte]

[110] Apel, 1987b: 134. [texte]

[111] Cf. Apel, 1987a: 39 sqq., 77; Apel, 1981 : 911. [texte]

[112] Apel, 1987a: 173. [texte]

[113] Apel, 1987a: 175. [texte]

[114] Apel, 1987a: 177-178; cf. aussi Apel, 1990: 29; et Apel, 1991: 49. [texte]

[115] Apel, 1987a: 180. [texte]

[116] Apel, 1991: 49; sur toutes ces questions, cf. Apel, 1981, passim. [texte]

[117] Apel, 1990: 12, note 7. [texte]

[118] Apel, 1994b: 41. [texte]

[119] Apel, 1987a: 168. [texte]

[120] Apel, 1987a: 188. [texte]

[121] Apel, 1987a:169. [texte]

[122] Apel, 1993: 516. [texte]

[123] Apel, 1987a: 181. [texte]

[124] Apel, 1987a: 181. [texte]

[125] Apel, 1987a: 181. [texte]

[126] Apel, 1990: 47, note 57. [texte]

[127] Apel, 1990: 12, note 7. [texte]

[128] Apel, 1987a: 185. [texte]

[129] Apel, 1987a: 188. [texte]

[130] Apel, 1987a: 187; cf. aussi Apel, 1996: 7-8. [texte]

[131] Apel, 1987a: 190. [texte]

[132] Apel, 1991: 43. [texte]

[133] Apel, 1989: 33. [texte]

[134] Apel, 1989: 42. [texte]

[135] Apel, 1990: 44; sur l'autocontradiction performative, cf. aussi Apel, 1988: 146; et Apel, 1981: 927. [texte]

[136] Apel, 1993: 522; cf. aussi Apel, 1991: 50. [texte]

[137] Apel, 1991 : 63. [texte]

[138] Apel, 1990: 44; cf. aussi Apel, 1988: 153. [texte]

[139] Cf. Victor Goldschmidt, Le système stoïcien et l'idée du temps, Vrin, Paris, 1979 (1953), pp. 174-175. [texte]

[140] Cité par J. Bouveresse, en ouverture du Mythe de l'intérioritè, 2ème éd., Paris, Minuit, 1987. [texte]

[141] Apel, 1987a: 169-170; sur Chomsky, cf. Apel, 1976a, II, 264-310. [texte]

[142] Apel, 1987a: 182. [texte]

[143] Apel, 1987a: 183. [texte]

[144] Apel, 1987a: 185. [texte]

[145] Apel, 1987a: 177. [texte]

[146] Cf. Apel, 1987a: 180 sqq.; cf. aussi Apel, 1990: 13, 37, 39. [texte]

[147] Apel, 1987a: 179. [texte]

[148] Apel, 1987a: 184-185. [texte]

[149] Apel, 1990: 13. [texte]

[150] Apel, 1987a: 195-196. [texte]

[151] Apel, 1987a: 196; cf. aussi Apel, 1991: 65. [texte]

[152] Apel, 1987a: 186; cf aussi Apel, 1981: 899, 905. [texte]

[153] Apel, 1987b: 101. [texte]

[154] Apel, 1984b: 110; cf. aussi Apel, 1990: 53. [texte]

[155] Apel, 1989: 41. [texte]

[156] Apel, 1994b: 48. [texte]

[157] Apel, 1996: 85; cf. aussi Apel, 1988: 162. [texte]

[158] Apel, 1987a: 156. [texte]

[159] Apel, 1987a: 127; cf. aussi Apel, 1993: 42. [texte]

[160] Apel, 1987a: 189-190. [texte]

[161] Apel, 1987b: 103. [texte]

[162] Apel, 1994a: 29. [texte]

[163] Apel, 1993: 44; cf. aussi Apel, 1994a: 30. [texte]

[164] Apel, 1987a: 132; cf aussi 1981: 907, 920-921. [texte]

[165] Apel, 1987a: 144. [texte]

[166] Apel, 1987a:186. [texte]

[167] Apel, 1987a: 210; cf. aussi Apel, 1989: 44-46. [texte]

[168] Apel, 1994a: 32. [texte]

[169] Apel, 1989: 40. [texte]

[170] Apel, 1987b: 63, note 26. [texte]

[171] Apel, 1987b: 86. [texte]

[172] Apel, 1987a: 127. [texte]

[173] Apel, 1994b: 38-39. [texte]

[174] Apel, 1989: 31. [texte]

[175] Apel, 1989: 32. [texte]

[176] Apel, 1991: 509-510; pour la discussion du solipsisme, cf. aussi Apel, 1981: 922 sqq. [texte]

[177] Apel, 1987a: 136; cf. aussi Apel, 1981: 911 sqq. [texte]

[178] Apel, 1994a: 31, 32. [texte]

[179] Apel, 1987a: 166-167; cf. aussi Apel, 1981: 912. [texte]

[180] Apel, 1987b: 103. [texte]

[181] Apel, 1991: 64. [texte]

[182] Apel, 1990: 39. [texte]

[183] Apel, 1991: 44. [texte]

[184] Apel, 1994a: 32. [texte]

[185] Apel, 1994a: 37, 51; cf. aussi Apel, 1987c:153. [texte]

[186] Apel, 1994a: 37. [texte]

[187] Apel, 1994a: 38. [texte]

[188] Apel, 1994a: 40. [texte]

[189] Cf. Apel, 1994a: 40, 44, 61; Apel, 1994b: 52. [texte]

[190] Apel, 1994a: 41. En ce qui concerne le couple énergétique/figural, nous renvoyons à Fernando Gil, Traité de l'évidence, Jerôme Millon, Grenoble, 1991.Pour un résumé des positions de Fernando Gil, nous nous permettons de renvoyer à notre article, "Prendre l'évidence au sérieux", Critique, 559, décembre 1993, 847-859. [texte]

[191] Apel, 1994a: 43-44. [texte]

[192] Apel, 1994a: 45. [texte]

[193] Apel, 1994a: 50. [texte]

[194] Apel, 1994a: 65; cf. aussi Apel, 1987c: 153, note. [texte]

[195] Apel, 1987a: 137, 142, 146. [texte]

[196] Apel, 1987b: 67; cf. aussi Apel, 1994b: 37. [texte]

[197] Apel, 1993: 519; cf. aussi ibid.: 515, 520; cf. aussi Apel, 1981: 913 sqq. [texte]

[198] Apel, 1989: 41. [texte]

[199] Apel, 1993: 511; cf. aussi Apel, 1981: 922 sqq. [texte]

[200] Apel, 1987b: 100. [texte]

[201] Apel, 1990: 27. [texte]

[202] Apel, 1996: 8. [texte]

[203] Apel, 1993: 514; cf. aussi ibid.: 537; cf. aussi Apel, 1994b: 41. [texte]

[204] Apel, 1987b: 130-132. [texte]

[205] Apel, 1993: 520. [texte]

[206] Apel, 1987b: 132-133. [texte]

[207] Apel, 1993: 536. [texte]

[208] Apel, 1994b: 99. [texte]

[209] Apel, 1993: 514. [texte]

[210] Apel, 1994b: 39. [texte]

[211] Apel, 1994b: 65. [texte]

[212] Apel, 1993: 514. [texte]

[213] Apel, 1993: 515. [texte]

[214] Apel, 1994b: 63. [texte]

[215] Apel, 1993: 519; cf. aussi Apel, 1988: 161; sur la communauté de communication, cf. Apel, 1976a, II: 220-263; et Apel, 1981: 925-926. [texte]

[216] Apel, 1976a, II: 50. [texte]

[217] Apel, 1976a, II: 65; cf. aussi Apel, 1987b: 89-90, note 51. [texte]

[218] Apel, 1994a: 30. [texte]

[219] Apel, 1987b: 94. [texte]

[220] Apel, 1987b: 109. [texte]

[221] Apel, 1987b: 124. [texte]

[222] Apel, 1994b: 39, 57. [texte]

[223] Apel, 1987a: 118, 122; cf. aussi ibid.: 141-142, 145, 146, 171; et Apel, 1991: 62. [texte]

[224] Apel, 1987a: 134. [texte]

[225] Apel, 1987b: 99-100. [texte]

[226] Apel, 1996: 7. [texte]

[227] Apel, 1996: 8. [texte]

[228] Apel, 1990: 44. [texte]

[229] Apel, 1994b: 87-88. [texte]

[230] Apel, 1994b: 102. [texte]

[231] Apel, 1994b: 96. [texte]

[232] Apel, 199413: 94. [texte]

[233] Apel, 1987a: 154. [texte]

[234] Cf. Apel, 1987c, passim, surtout p. 156 sqq. [texte]

[235] Apel, 1987c: 157. [texte]

[236] Apel, 1989: 37. [texte]

[237] Apel, 1989: 38. [texte]

[238] Apel, 1989: 38-39. [texte]

[239] Apel, 1989: 40. [texte]

[240] Apel, 1987c: 158 sqq. [texte]

[241] Apel, 1987c: 159. [texte]

[242] Cf. Apel, 1976a, II: 77. [texte]

[243] Cf. Apel, 1989: 39. [texte]

[244] Apel, 1993: 525. [texte]

[245] Apel, 1993: 518. [texte]

[246] Apel, 1987a: 127, 173; Apel, 1991: 40-41, 58-59; Apel, 1981: 896, 910. [texte]

[247] Apel, 1991: 42. [texte]

[248] Apel, 1991: 41, 57-58. [texte]

[249] Apel, 1991: 39. [texte]

[250] Apel, 1976, II: 59-60; Apel, 1987a: 127, 172; Apel, 1994a: 57; Apel, 1991: 41, 45, 48; Apel, 1981: 901. [texte]

[251] Apel, 1987a: 126. [texte]

[252] Apel, 1987a: 173, 192; cf. aussi Apel, 1981: 914-915. [texte]

[253] Apel, 1987a: 127; Apel, 1989: 38-39; Apel, 1991: 47. [texte]

[254] Apel, 1991: 48. [texte]

[255] Apel, 1987a: 127; Apel, 1991: 41, 50, 52, 53. [texte]

[256] Apel, 1991: 46-47. [texte]

[257] Apel, 1991: 48. [texte]

[258] Apel, 1991: 45. [texte]

[259] Apel, 1987a: 172, 191. [texte]

[260] Apel, 1991: 53-58. [texte]

[261] Apel, 1987a: 157, 203. [texte]

[262] Apel, 1987a: 129, 192. [texte]

[263] Apel, 1987a: 193; Apel, 1991: 47, 52. [texte]

[264] Apel, 1991: 43. [texte]

[265] Apel, 1991: 45, 47; cf. aussi Apel, 1981: 907. [texte]

[266] Apel, 1987a: 193; cf. aussi Apel, 1989: 41; Apel, 1991: 46, note 16; Apel, 1981: 907-8, 922 sqq. [texte]

[267] Apel, 1991: 46, note, 47, 65; cf. aussi Apel, 1981: 907, 909, 912, 914,915, 919. [texte]

[268] Apel, 1991: 40, 41, 42. [texte]

[269] Cf. Apel, 1991: 47. [texte]

[270] Apel, 1991: 58 sqq. [texte]

[271] Apel, 1991: 66; cf. aussi ibid.: 65. [texte]

[272] Apel, 1991: 55. [texte]

[273] Apel, 1991: 62. [texte]

[274] Apel, 1991: 61. [texte]

[275] Apel, 1991: 61. [texte]

[276] Cf. aussi Apel, 1987a: 128-1 29; et Apel, 1994a: 35, 58. Il serait intéressant de comparer ce qu'Apel écrit au sujet de l'évidence et des déictiques aux analyses proposées par Fernando Gil dans son Traité de l'évidence (op. cif. dans la note 187). [texte]

[277] Apel, 1994a: 65. [texte]

[278] Apel, 1987b: 83; cf. aussi ibid.: 87. [texte]

[279] Apel, 1987b: 88. [texte]

[280] Apel, 1987b: 94. [texte]

[281] Apel, 1987b: 96; cf. aussi ibid.: 97. [texte]

[282] Apel, 1994b: 36; cf. aussi Apel, 1996: 56-57. [texte]

[283] Apel, 1987b: 56. [texte]

[284] Apel, 1987b: 59-60. [texte]

[285] Apel, 1987b: 61. [texte]

[286] Apel, 1987b: 62; cf. aussi ibid.: 64-65, 83. [texte]

[287] Apel, 1976a, II. [texte]

[288] Apel, 1976a, II: 30. [texte]

[289] Apel, 1976a, II: 52. [texte]

[290] Apel, 1976a, II: 53; cf. aussi ibid.:63. [texte]

[291] Apel, 1976a, II: 54. [texte]

[292] Apel, 1976a, II: 57-59; sur l'ensemble du rapport compréhension/explication, cf. Apel, 1979, passim. [texte]

[293] Apel, 1976a, II: 59 sqq. [texte]

[294] Apel, 1976a, II: 65. [texte]

[295] Apel, 1993: 506. [texte]

[296] Apel, 1994: 8-9. [texte]

[297] Apel, 1994b: 9. [texte]

[298] Apel, 1994b: 10. [texte]

[299] Apel, 1994b: 10. [texte]

[300] Apel, 1994b: 10-11. [texte]

[301] Apel, 1994b: 103. [texte]

[302] Apel, 1994b: 76; cf. aussi ibid.: 79. [texte]

[303] Apel, 1994b: 80. [texte]

[304] Apel, 1994b: 66; cf. aussi Apel, 1993: 527. [texte]

[305] Apel, 1994b: 67. [texte]

[306] Apel, 1994b: 89. [texte]

[307] Apel, 1993: 530. [texte]

[308] Apel, 1993: 521. [texte]

[309] Apel, 1993: 526. [texte]

[310] Apel, 1993: 521. [texte]

[311] Apel, 1987b: 43-44, 61, 79. [texte]

[312] Apel, 1994b: 68. [texte]

[313] Apel, 1993: 523. [texte]

[314] Apel, 1994b: 77. [texte]

[315] Apel, 1994b: 69. [texte]

[316] Apel, 1994b: 76. [texte]

[317] Apel, 1994b: 76. [texte]

[318] Apel, 1994b: 82-83. [texte]

[319] Apel, 1994b: 92. [texte]

[320] Apel, 1993: 524. [texte]

[321] Cf. Apel, 1993: 532. [texte]

[322] Apel, 1993: 523, 530, 533; Apel, 1994b: 76, 79, 99, 101, 105. [texte]

[323] Apel, 1993: 520. [texte]

[324] Apel, 1993: 528. [texte]

[325] Apel, 1993: 523. [texte]

[326] Apel, 1994b: 8. [texte]

[327] Apel, 194b: 72; cf. aussi Apel, 1990: 27; Apel, 1993: 507, 515. [texte]

[328] Apel, 1994b: 73. [texte]

[329] Apel, 1994b: 102. [texte]

[330] Apel, 1993: 532-533; Apel, 1994b: 77 sqq.; Sur ces questions, cf. aussi Apel, 1992b. [texte]

[331] Apel, 1987a: 183. [texte]

[332] Apel, 1989: 32. [texte]

[333] Apel, 1993: 514. [texte]

[334] Apel, 1993: 519. [texte]

[335] Apel, 1993: 521. [texte]

[336] Apel, 1994b: 8-9, 103. [texte]

[337] Cf. Apel, 1994b: 8-9; Apel, 1996: 81. [texte]

[338] Apel, 1996: 87. [texte]

[339] Apel, 1993: 523; cf. aussi ibid.: 532. [texte]

[340] Apel, 1993: 535. [texte]

[341] Sur l'importance de la manière de penser des spectateurs dans la Révolution française selon Kant, cf. P. Tunhas, "Acontecimento e dissimulação na filosofia da historia de Kant", Análise, 16, 1992, 35-55, surtout pp. 39-41. [texte]

[342] Cf. Christian Berner, La philosophie de Schleiermacher, Cerf, Paris, 1995, pp. 139 sqq., 199 sqq. [texte]

[343] Cf. U. V. Slague, "The Kantian influence on Humboldt's linguistic thought", in Historiographia linguistica, 1, 1974, 341 -350. [texte]

[344] Cf. M. J. van der Wal, "The Kantian mentalism of Johannes Kinker", Topoi, 4, 1985, 151-153. [texte]

[345] En ce qui concerne Hamman, cf. K. Gruender, "Langage et histoire. Perspectives de la «Métacritique sur le purisme de la raison» de J.-G. Hamann", Archives de philosophie, 24, 1961, 414-425; cf. aussi Lewis W. Beck, Early German Philosophy. Kant and His Predecessors, Thoemmes Press, Bristol, 1996 (1969), pp. 113-152. [texte]

[346] Ak , IV: 322-323; Pléiade, 2: 100. [texte]

[347] Cf. Julian Cordon, "El lenguage como problema filosofico y Critica del Juicio", R. Aramayo et R. Vilar, éds., En la cumbre del criticismo, Anthropos, Barcelona, 1992, pp. 46-77. [texte]

[348] Cf. Fichte, Essais philosophiques choisis, choix et traduction par Luc Ferry et Alain Renaut, Vrin, Paris, 1984, pp. 113-152. [texte]

[349] Cf. la très riche étude de Denis Thouard, "Une philosophie de la grammaire d'après Kant: la Sprachlehre de A. F. Bernahrdi", Archives de philosophie, 55, 1992, 409-435. [texte]

[350] Cf., par exemple, "A razão eloquente, ou o duplo sentido da fórmula da autonomia: «Sic volo, sic jubeo»", Análise, 20, 1998, 69-90. [texte]

[351] "A subjectividade incompressivel", Análise, 20, 1998, p. 5. [texte]

[352] Cf., par exemple, lntentionality, Cambridge U. P., Cambridge, 1983, p. Vll. [texte]

[353] Pour une vue générale des problèmes posés par la question «Qu'est-ce que penser?», nous nous permettons à nouveau de renvoyer à notre article "Três rnaneiras de pensar (I)" (cit. note 26). [texte]